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dresde

le dernier éclat de la gloire fabuleuse avant les désastres et l’expiation.

À cette place où on a élevé pour lui ce monument de honte, Moreau se tenait près de l’empereur Alexandre. Le boulet qui lui emporta les deux jambes partit des batteries que Napoléon commandait en personne. Et, saignant, frappé à mort, il eut cet affreux honneur que le souverain ennemi l’embrassât tendrement.

Il devait vivre quelques jours encore, savoir que Napoléon avait gagné la bataille, croire que de nouveau les victoires étaient aux ordres de l’homme qu’il exécrait. Il a goûté, sans doute, et jusqu’au fond, l’amertume de sa défaite, de son impuissance, de son inutile trahison, et l’horreur de mourir d’un boulet français. Il a goûté tout cela : Dieu merci !

Avec sa lunette, Napoléon avait vu tomber quelqu’un dans le groupe des princes réunis sur la colline, et remarqué une agitation vive autour de celui que son boulet jetait à terre. Le soir de la bataille, chez le roi de Saxe, il demandait à tout venant : « Qui donc avons-nous tué dans ce brillant escadron ? ». Nul ne savait. Un peu plus tard, on lui amena un chien dont le collier portait ces mots : « J’appartiens au général Moreau ». C’était la réponse.

Sous la douceur du ciel, la plaine sommeille dans sa sérénité. Le silence est profond. Une large paix enveloppe le champ de bataille où veillent ces deux souvenirs : le petit monument sinistre du Français ennemi de la France, le fier monument du grand patriote qui aima tant la gloire allemande…