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y vient entendre le Chevalier de la rose… Comme à l’église, davantage encore, le xviiie siècle ressuscite, substitue ses images à la réalité, retouche toutes les formes — jusqu’aux visages, semble-t-il — et hallucine !

J’admire beaucoup la musique de Strauss, avec toutefois un peu d’inquiétude morale. Sans doute, suis-je seule à éprouver cela, mais il arrive que, m’y étant complue et très fort, elle me laisse la sorte de mauvaise conscience qu’on emporte après avoir regardé trop curieusement des tragédies physiques, écouté avec trop de complaisance certaines histoires, toutes les fois enfin que l’imagination, entraînée par les nerfs, échappe au contrôle de la volonté. Il me semble que cette musique puissante, avec ses ingéniosités de timbres, l’abondance de ses couleurs, ses recherches, pénètre la zone trouble de l’émotion avant d’attaquer les parties sereines de l’esprit. Lorsqu’on a entendu Salomé, par exemple, on est un peu hors de soi. Un peu confus aussi, et incertain quant à la qualité de l’impression dont on demeure tout vibrant. Est-ce le meilleur de l’intelligence qui vient de prendre un plaisir si aigu ? On ne se sent pas plus libre, mieux en ordre, comme après s’être lavé le cœur dans la source claire de Mozart.

Le Chevalier de la Rose ne donne aucune de ces sensations équivoques. Le charme est direct, franc, allègre et sans arrière inquiétude. Tout concourt : le poème, les décors exquis, le jeu des artistes. Extraordinaires gens, ces chanteurs ! Ils ne regar-