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un voyage


perd le sentiment de la réalité rassurante ; une inquiétude sans forme avance avec vous sur l’eau lourde. Le canal se rétrécit ; des arbres, des buissons, un taillis serré pressent les berges. Une solitude dangereuse vous étouffe. On est loin de soi même…

Les cygnes, las d’attendre ce qui jamais ne viendra, remontent sur les rives. De quelle singulière blancheur ils sont dans la vapeur brune du crépuscule ! Le soir gagne, rapide, maléfique ; les murs vous regardent sournoisement. Lorsque tout à l’heure, la nuit se fermera sur ces canaux mystérieux, quels êtres recommenceront après vous la bouleversante promenade ?… On voudrait, que les rames ne fissent pas ce bruit dans l’eau…

… J’ai lu quelque part l’aventure d’un homme qui se vante de ne pas croire aux fantômes. Par défi, il vient passer la nuit dans une chambre que tout le monde tient pour hantée, et invite un de ses camarades à faire avec lui l’expérience. Tous deux s’installent dans la pièce. Ils attendent sans parler. Minuit sonne. Le sceptique se tourne vers son compagnon, une plaisanterie aux lèvres. Mais il ne dit pas sa plaisanterie. Il ne dit rien, il reste immobile, saisi jusqu’aux moelles par la grande peur… Son ami change ! Quelque chose a passé sur sa figure, sur toute sa personne. Une effarante, une innommable métamorphose s’opère… Il devient le fantôme !

Je me suis rappelé cette histoire d’un malaise infini en glissant sur les canaux de Bruges à la