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troublée. – Je vous le dis, il croit aux paroles, ce naïf ! Puis c’est La Mettrie qui vient lui raconter que, comme ils causaient ensemble des grandes faveurs accordées à Voltaire, le roi de Prusse a dit : « J’aurai besoin de lui encore un an tout au plus. On presse l’orange, on jette l’écorce. » À ce coup, Voltaire est éperdu de chagrin. Frédéric a-t-il vraiment dit ce mot affreux ? Il voudrait être sûr, obtenir des précisions. Mais à ce moment même, La Mettrie s’avise de manger son pâté d’aigle. Il meurt et Voltaire garde ses angoisses. Il veut douter pourtant. Et nous, nous sommes sûrs que Frédéric a dit cette phrase si pareille à son cœur, car nous avons lu ce qu’il écrivait à un familier après on ne sait quelle frasque de son remuant commensal : « Je ne ferai semblant de rien car j’ai besoin de lui pour l’étude et l’élocution du français. On peut apprendre de bonnes choses, même d’un scélérat. Je veux savoir son français, que m’importe sa morale. » Toute gracieuse amitié !… D’ailleurs, Frédéric commet là, j’imagine, deux erreurs : l’une c’est de croire qu’il apprendra « le français » de Voltaire, et l’autre de se figurer qu’il ne « fait semblant de rien » lorsqu’on lui déplaît. Voltaire a payé toutes ses folies — peut-être même avant de les avoir menées à bien. Il a goûté le mépris mal caché sous la louange, et l’amertume de la raillerie sans tendresse. Il se plaint à voix basse, d’abord, et mi-souriant : « À la bonne heure, qu’un roi fasse des épigrammes contre les rois, cela peut même aller jusqu’aux ministres, mais il ne devrait