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un voyage

reuth, les splendeurs de l’Opéra, le plaisir des soupers. Il ressasse, comme pour se convaincre de leur excellence, les motifs qui l’ont fait quitter Paris. Il dit et redit que la conversation du roi et sa philosophie sont admirables, et que le roi a gagné cinq batailles, et qu’il a cent cinquante mille hommes de troupes. Avec tout cela, pas un mot ne marque qu’il ait trouvé un ami. « Si on peut répondre de quelque chose, c’est du caractère du roi de Prusse », écrit-il, avec un air de réfuter ses propres doutes plutôt que les doutes de ses amis.

Et quand la Cour de Versailles a donné permission qu’il demeure à Berlin : « On m’a cédé en bonne forme au roi de Prusse. Mon mariage est donc fait. Sera-t-il heureux ? Je n’en sais rien. Je n’ai pas pu m’empêcher de dire oui. Il fallait bien finir ce mariage après des coquetteries de tant d’années. Le cœur m’a palpité à l’autel. » Puis : « Il m’a bien juré que je ne m’en repentirais pas. »

Voltaire se repent déjà. Déjà il sent de pernicieux courants froids dans l’atmosphère. Il n’explique rien d’abord, n’articule aucun grief ; pourtant la tristesse perce parfois au travers d’une phrase rapide : « J’ai besoin de plus d’une consolation ; ce ne sont pas les rois, mais les belles-lettres qui la donnent. » Il n’a pas manqué de comprendre qu’avec tout son esprit, son immense gloire, il n’est rien qu’une marionnette aux mains du méprisant despote. Une marionnette, à vrai dire, que l’on tient pour mieux pailletée, plus amusante que nulle autre, — une marionnette cependant. Très vite il dut