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Frédéric fit en sorte que sa délicate pièce de poésie tombât sous les yeux de Voltaire, qui était alors souffrant et couché. À peine a-t-il lu, il se jette hors du lit au comble de la rage, tempête, dit cent folies, et que Frédéric se vante à tort de savoir gouverner son royaume. En chemise, il court par la chambre… et fixe irrévocablement le jour de son départ.

Admirons que le roi de Prusse ait si bien connu son homme, mais ne pensons pas qu’il eut pour lui ni amour ni respect.

Et quant à Voltaire ?… « Le roi faisait semblant de m’aimer, je crus moi aussi que je l’aimais », dit-il dans ses Mémoires. Il ne se trompait pas. Il a vraiment aimé Frédéric.

Quelle que fût l’audacieuse liberté de son esprit, ce qu’il y avait en lui d’imaginatif et de sensible acceptait les rois pour des personnages très différents des autres. Il les flattait avec une volupté particulière. Leurs éloges lui montaient à la tête. Et voici un roi que son génie, ses victoires mettent à part, très haut, et qui tient l’intelligence et le talent pour les valeurs suprêmes, et qui, avec des câlineries, des louanges violentes, s’adresse à lui Voltaire comme au représentant le plus parfait de l’art et de la pensée, veut être son élève, son ami. Un roi, — répète-t-il à satiété, lorsque meurtri et furieux il énumère les motifs de sa confiance et de son affection déçues, – un roi qui fait des vers français !… Il est touché dans son orgueil, dans son cœur aussi. Touché de telle sorte que jusqu’à la