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geantes que sait prendre son avarice, aussitôt qu’il peut rentrer en France, d’où un duel malheureux l’avait chassé, part le cœur gros de rancunes. D’Alembert est venu, a vu, s’en est retourné, nulle promesse n’a pu le retenir. Le souple Vénitien Algarotti emploie son habileté pliante et souriante à se ménager de perpétuelles retraites. La Mettrie, cet excentrique blasphémateur, est là seulement parce que, chez lui, en France, on l’arrêterait. Au moment où il meurt d’indigestion pour avoir englouti tout un pâté d’aigle, il suppliait Voltaire de le rapatrier : « Tout lecteur qu’il est du roi de Prusse, il brûle de retourner en France. Cet homme si gai, et qui passe pour rire de tout, pleure quelquefois comme un enfant d’être ici… En vérité, il ne faut jurer de rien sur l’apparence. La Mettrie, dans ses préfaces, vante son extrême félicité d’être auprès d’un grand roi, qui lui lit quelquefois ses vers, et, en secret, il pleure avec moi. Il voudrait s’en retourner à pied. » Le marquis d’Argens, cet aventureux de talent et de vive imagination auquel le tour irréligieux de ses écrits rend aussi le pays natal inhabitable, a été attiré par Frédéric, car toute personne suspecte d’impiété l’intéresse. Frédéric lui a promis une pension, une maison, des merveilles. La pension ne vient pas. D’Argens, modestement, la réclame, Frédéric allègue des difficultés financières. Les mois passent. D’Argens implore de nouveau. On le rassure. Mais point de monnaie. Le roi se divertit de sa mine. Enfin, il donne pension et maison. Le marquis, enchanté, reconnaissant, tout ému de tendresse,