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un voyage


Son allègre visage montre qu’elle apprécie les avantages de sa position. Elle a vu mourir tant d’autres ; et la voilà ! Elle vous regarde avec malice. Aurez-vous cent ans, vous qui lui donnez cette monnaie parce qu’elle est si vieille ? Non, probablement ! On dirait que les cliquetants fuseaux raillent et qu’elle aussi se moque. De quoi ? De la vie et de la mort ?… Occupée sans répit, et dans un si proche voisinage du néant, à créer la légère dentelle aux destins frivoles, elle dégage on ne sait quelle impression tragique, cette moqueuse centenaire…

Pour sentir toute la mélancolie de Bruges, ce n’est pas assez du Béguinage. Il faut à la fin du jour prendre un bateau en face des grands murs rougeâtres de l’hôpital Saint-Jean, et se promener autour de la ville par ce chemin d’eau peuplé de sortilèges.

D’abord, c’est, sous les rayons obliques du soleil couchant, une succession de tableaux parfaits dont quelque artiste d’un goût merveilleux semble avoir distribué les éclairages, échantillonné les couleurs. Chaque coup de rame en découvre un autre plus exquis. On goûte jusqu’à l’étourdissement l’illusion de voir la réalité avec les mêmes yeux que les grands peintres, tant chaque aspect, complet en soi, se détache, livre toute sa beauté.

Des pignons aigus à la file, prennent la lumière,