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l’Imitation. Il aurait « avec plaisir allumé le fagot pour brûler Érasme ». À peine avait-il quelque orgueil de savoir beaucoup et de bien parler.

Le visage du second portrait est mûri, plus plein, plus dur, et moins paisible. L’homme a vu ce qu’il est, pressenti ce qu’il peut, mais il se cherche encore. L’attaque est commencée. Il marche sans savoir exactement où il va. Chaque minute lui découvre un horizon plus large – et différent. Le destin qu’il a déchaîné le mène. À chaque pas il apprend sa mission et se reconstruit. Il est gonflé de colères, d’espoirs, d’énergies, d’inquiétudes. La bouche a changé de caractère, elle s’est humanisée : bonne et véhémente, prête pour le rire énorme et l’injure féroce. Michelet semble décrire ce portrait lorsqu’il dit : « Voilà comment apparaît Luther, sublime et bouffon… amusant, colère, terrible : un David aristophanesque entre Moïse et Rabelais… Non, plus que tout cela : le Peuple. »

Dans le dernier portrait, les cheveux sont blancs, il est gras, l’animalité du masque s’accuse, l’œil bridé asiatique a une gaieté audacieuse, la lourde mâchoire révèle les appétits, et l’éloquence formidable. Toute la spiritualité de ce visage réside dans les traits de force. Une force prodigieuse… Il a moins de noblesse, car il n’a plus ni crainte ni doute : il a réussi. Mais quelle puissance ! Ce portrait-là, c’est, il me semble, Bossuet qui en révèle le sens. « Il est vrai qu’il eût de la force dans le génie et de la véhémence dans les discours ; une éloquence vive et impétueuse qui entraînait les peuples et les