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la wartbourg

émouvante encore, nombre de jaquettes de cuir dont les propriétaires furent massacrés dans la guerre de Trente ans. Les vêtements des soldats parlent de la mort avec une éloquence plus vive que les armures des capitaines.

Et puis enfin, dans une tour proche du pont-levis, il y a la chambre de Luther !

Si les Allemands restaurent mal, ils conservent avec un art exquis. Cette chambre n’a subi aucune fresque explicative. Un rude crépi, jadis blanc, de vieux meubles, quelques lettres encadrées — une du bon Melanchton — c’est tout. Et l’atmosphère du lieu est admirablement persuasive.

Le guide nous assure que Luther dormait dans ce lit de bois raboté hâtivement, qu’il s’asseyait sur ce fauteuil, que ce tronc d’arbre lui servait de table à écrire. Sur le mur, il montre la célèbre tache d’encre que fit en s’y écrasant l’encrier du réformateur un jour qu’il s’entretenait avec le diable de matières théologiques. La conversation cessa vite d’être courtoise, et sur quelque propos irritant de l’exécrable individu, Luther, furieux, lui lança l’encrier au creux de l’estomac. Sur quoi, tout fâché, le diable s’en fut aussitôt. C’est ainsi, du moins, que l’on m’a raconté l’aventure.

Gœthe, qui n’avait point l’esprit tourné à la confiance aveugle, prétendait que tous les ans la tache d’encre était soigneusement noircie à neuf. C’est bien possible, et aussi que Luther n’ait pas connu le lit, le fauteuil ni le tronc d’arbre. N’importe,