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un voyage

de chaleur, la solitude où on agonise en regardant très loin les palmes de l’oasis…

Le cloître d’Erfurt n’a point cette hallucinante éloquence. Il est médiocre, en désordre avec l’aspect hors d’usage, détérioré, vacant, des choses qui ne conviennent pas au climat. Pour qu’il soit voluptueux de marcher à l’ombre en lisant de saints livres, le soleil n’a point ici de morsure assez chaude. Les cloîtres du Nord abritent de la pluie ? Mais les cloîtres n’ont pas été inventés pour cela. Celui d’Erfurt est plein d’un remarquable ennui. Je ne voudrais pas penser qu’on m’y enterrera. Au reste ce n’est guère probable. Cependant on y voit certaines pierres tombales propres à émouvoir. Elles doivent être très anciennes car les saillies en sont usées presque absolument. Au xve siècle, on a refait en bronze le visage des morts que recouvrent ces dalles. Le reste du corps n’a plus de forme, mais ces masques noirs restent, témoignage d’une piété qui attendrit.

Malgré tout, je préfère les dalles où le temps a fait librement son travail. Les gens d’autrefois voulaient que leur image fût couchée sur le sol, afin qu’après leur mort on la foulât aux pieds. Cela marque une si belle inquiétude, et, sous tant d’orgueil, tant d’humilité ! C’était selon leur cœur, sans doute qu’à la fin, cette image même disparût et que leur mémoire rentrât dans l’oubli ?… On ne sait plus rien d’eux, les noms, les épitaphes sont effacées. Mais les pierres usées, évoquent une immense foule confuse. On croit entendre, voir