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un voyage

Air exquis, dans lequel, pour être heureux, il suffit de se taire…

Par les rues, en France, en Italie, en Espagne, en Angleterre, constamment on croise des regards qui vous raniment dans la mémoire les féroces anecdotes du passé. L’irritation brève d’un coudoiement, une dispute, mettent aux prunelles des lueurs où bouge encore l’histoire tragique de la race. Et on croit apercevoir chez le passant inoffensif, la possibilité d’une violence, identique à la violence des ancêtres. Rien de tel chez les passants de Bruges. Pourtant la ville garde sa physionomie ancienne, à tel point que l’esprit refuse d’enregistrer les manifestations de la vie actuelle. Il y a des tramways et, je crois bien, des cinématographes ; on ne se rappelle que, à l’ombre des églises, les rues désertes, où chaque pas du promeneur s’entend, et attire des visages aux carrés des petites fenêtres. Le présent est l’intrus. Ce décor irrésistible doit, semble-t-il, avoir maintenu rigidement la forme des âmes ? Peut-être… Mais où retrouver ces terribles gens qui emprisonnaient leur prince pour le faire obéir, – le poignardaient à l’occasion, jetaient les vaincus du haut de leur admirable beffroi, s’assemblaient avec une fureur rapide, unanime et sombre, pour défendre leur travail, leurs libertés et leur orgueil ? Comment discerner la moindre trace de ces forces cruelles dans la placide finesse, la bonhomie des visages ?