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les maisons sacrées

l’acceptait. La grande-duchesse traitait affectueusement Mme de Wittgenstein. On savait que la courageuse femme s’employait, quoiqu’il dût lui en coûter, à obtenir son divorce, afin d’épouser ce musicien sans ancêtres. Ils étaient de tels gens tous les deux qu’on les approuvait, les admirait. Et eux, ils s’aimaient, ah ! comme ils s’aimaient !

On a publié les lettres que, pendant les douze années qu’elle vécut à Weimar, Liszt écrivit à la princesse quand il la quittait pour donner quelque concert lointain. Il dit ses moindres actions, quelles personnes il rencontre, les paroles entendues, ses plus petits projets. Il la charge de cent besognes : surveillance de ses affaires musicales, discussion de ses intérêts. Il lui écrit comme à une collaboratrice, comme à un secrétaire, comme à un ami. Rien de plus intime que ces lettres, rien de moins familier pourtant : jusqu’à la plaisanterie tout s’y imprègne de respect. Et à chaque minute les récits, les portraits, les phrases, soucieuses ou gaies, sont transpercées de cris d’amour.

Il appelle Mme de Wittgenstein : « Chère et chère ! ». « Chère, très chère toute seule ! » « Ma très infiniment chère et plus sublime ! ». À la fin des lettres on sent le cœur palpitant qui se livre : « À vous plus qu’à moi », dit-il — et c’est vrai ! — Ou encore : « À vous, par vous, en vous ». L’une s’achève sur ces mots tout frémissants d’orgueilleuse tendresse : « Adieu, mon beau regard, mes belles serres d’aigle ! ». Puis c’est le continuel besoin de définir son amour, la redite acharnée