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un voyage

Marie-Carolyne de Sayn Wittgenstein était une russe d’intelligence variée, curieuse et puissante, de grande âme et de grand courage. Tendre et forte, mystique et passionnée, le jugement clair, chimérique aussi pourtant, elle avait en outre un don de gaieté charmante et moqueuse, puis un magnifique pouvoir de souffrir. Elle joignait, disait Liszt, « à la supériorité de l’intelligence et à la plus perspicace sagacité, la vaillance d’un caractère inébranlable ». Avec tout cela, elle n’était point très belle. Les portraits de sa jeunesse nous montrent un nez bien trop grand, un trop grand menton, une bouche un peu en retrait. L’attitude a une distinction suprême et simple. On la devine très fière, sans nulle morgue toutefois. Probablement avait-elle la sorte de grâce qui, ensemble, attire et tient à quelque distance. On a d’abord envie de la respecter.

Le dernier portrait, une photographie, que la gouvernante de Liszt vend aux visiteurs avec des mines particulièrement dévotes, a le style reposé que, du temps qu’il y avait encore des vieilles femmes, on voyait parfois aux dames charitables du très grand monde. Mais, jeune ou vieille, quel regard elle avait, cette princesse ! Il s’en va vers des choses lointaines, des choses profondes, il est énergique et plein de pardons délicieux, mélancolique divinement, fait de bravoure et de caresses ; un regard propre à soutenir les courages, à durcir les volontés, à soulever les montagnes par sa douceur sans limites et sa merveilleuse fermeté.