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les maisons sacrées

comment y ferions-nous attention ? Au lieu d’un portrait, on nous offre les suppositions d’un sculpteur. Et c’est remarquablement ennuyeux.

Je goûtais cet ennui, après avoir tourné autour de la statue élevée à Herder, en 1850, sur une des plus harmonieuses places de l’harmonieuse Weimar.

Bientôt, oubliant le philosophe, et même la statue, je ne m’occupais qu’à injurier dans mon âme ces gens bizarres qui gaspillent tant d’excellent bronze et de beau marbre. Mais, tout à coup, je cessai brusquement de maudire les sculpteurs. Ma promenade m’avait conduite dans une rue déserte, devant une maison brunie par les longues humidités, vieillotte, recueillie, et, je ne saurais dire pour quoi, plus grave que ses voisines. Au mur, une plaque, une inscription : Ici vécut, travailla, mourut Herder. C’est là un monument mieux propre que le bonhomme de bronze à toucher le cœur !…

La maison est habitée, on ne la visite pas. N’importe, les trois verbes gravés sur sa face suffisent à lui donner une signification puissante. Bonne leçon pour le passant qui, trop conforme à l’époque, ne trouve nulle part la paix, puisque par tout il porte avec lui le désir du changement. Habiter longtemps la même maison, voir chaque jour avec un plaisir serein le même horizon étroit, sans songer qu’il en existe d’autres, et plus beaux peut-être ; suivre à travers le travail une direction toujours la même, mourir entre les vieux murs qui vous ont vu vieillir, être, jusqu’au bout fixé