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un voyage

Gœthe qui finit par l’aimer vraiment fut d’abord agacé à l’extrême par le tour obtinément abstrait de son esprit. Racontant les débuts de leurs relations, et certaines causeries acharnées et coléreuses, il dit : « J’étais attristé jusque dans l’âme par des propositions comme celles-ci : Comment peut-il exister une expérience qui corresponde à une idée ? La qualité spécifique de l’idée, c’est qu’au cune expérience ne puisse l’atteindre ni s’accorder avec elle. » Et on imagine Gœthe écoutant un pareil propos. Attristé jusque dans l’âme, certes il devait l’être !

Pourtant le citoyen du monde qui trouvait misérable d’écrire pour une nation, c’était sans doute le plus Allemand des Allemands.

Il a toutes les vertus et toutes les manières de sa race : simplicité de cœur, endurance, enthousiasme, imagination éprise des splendeurs spirituelles, goût de l’abstraction. Fort, mais dépourvu de souplesse, incomparable dans la gravité, l’exaltation, la tristesse, le grandiose, il n’a point la raillerie rapide, la finesse. Son geste large va si loin, si haut qu’il s’achève dans le vague. « Les Allemands – c’est Carlyle qui parle — sont gens à ne pas reculer devant l’effort. Un certain degré d’obscurité leur apparaît l’élément nécessaire où joue librement cet enthousiasme méditatif qui est un de leurs traits caractéristiques. »