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éloquent, mais nous n’avons pas besoin de ces personnages, comme nous avons besoin d’Ulysse, d’Hamlet et de Méphistophélès.

Schiller n’admettait pas dans son royaume ces misérables conflits qui se passent au ras du sol. Le petit, le particulier ne le touchent nullement. Son vaste esprit généralise tout ce qu’il saisit. Sa bonté s’exprime dans une phrase qu’il redisait souvent : « Je n’ai pas de plus cher désir que de voir tous les hommes heureux, et contents de leur sort ». Des personnes irréfléchies disent parfois cela. Mais Schiller n’était pas irréfléchi. Alors par où raccordait-il un tel désir avec la vraisemblance ? Il aimait l’humanité. Cela signifie d’ordinaire que l’on n’aime personne. Pour lui, cela consistait à répandre dans l’immense espace, sa sensibilité très vive et sa tendresse très réelle, jusqu’à ce qu’elles devinssent je ne sais quoi de vaporeux — d’abstrait encore.

Nos révolutionnaires qui, eux aussi, aimaient l’humanité, eurent l’impression que le grand Allemand leur appartenait en quelque sorte. La Constituante lui décerna le titre de citoyen français. Seulement au procès-verbal de la séance une erreur s’introduisit dans l’orthographe de son nom qui fut écrit Giller. Renchérissant, le Moniteur l’appela Gillers, puis le Bulletin des lois Gille. De sorte que Roland lui adressa le diplôme par quoi la sainte Révolution le reconnaissait pour un frère : « À M. Gille, publiciste allemand ». Ces gens avaient des idées confuses, quant au frère qu’ils s’étaient choisis…