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un voyage

Je cherche les traces de ce doux et grand génie, sur ces objets que ses mains ont touchés. D’où vient que, dans les autres maisons sacrées, j’ai senti si clairement des présences, et ici, non ? Ces meubles sont les siens. Ils occupent les mêmes places nécessaires qu’ils occupaient, quand sa rêverie et son courage palpitaient entre ces murs ! Rien n’est simple et réel comme cette chambre mortuaire avec ses modestes rideaux rouges ; et cependant, j’éprouve la sensation du décor. Un émouvant décor, certes, mais un décor.

Je suis séparée de cette image que je veux atteindre par un obstacle qui bouge sous mon effort, et résiste pourtant. Schiller m’apparaît magnifique, lointain, irréel, comme m’apparaissent, la plupart, les héros de ses drames. Lui et eux se meuvent dans une autre atmosphère que nous. Comment les rejoindre ? Schiller a rêvé une humanité tellement plus grande que n’est l’humanité !… Tous les poètes rêvent ainsi ? Pourtant, Achille, Macbeth, Faust et Desdemona sont parmi nous, nous les voyons comme nous voyons nos frères en peine, en crime, en douleur, en tendresse. Ils nous dominent de toute leur énergie, leur héroïsme nous dépasse, mais ils nous rejoignent par leurs contradictions, leurs incertitudes. Les gigantesques personnages de Schiller enthousiasment, et puis on s’aperçoit qu’ils ne sont pas là ! On a entendu leur histoire merveilleusement contée, on n’a pas vu leur visage, senti leur souffle chaud vous passer sur le front. On est ému, entraîné comme par les images lyriques