Page:Bulteau - Un voyage.pdf/143

Cette page a été validée par deux contributeurs.
128
un voyage

divines. Je m’arrête, le cœur suspendu. Comment dire la force enivrante d’un tel prestige ? Est ce moi qui l’éprouve, ou bien… Cette fontaine n’était pas là peut-être lorsque au déclin de sa tendresse, Gœthe sortait le soir de la maison jaune, l’esprit pesant de nostalgie ? Si elle y était, s’il a entendu la frêle voix liquide, n’a-t-il pas maintes fois senti la nuit romaine musicale et embaumée frémir autour de lui ? Et, las, soudain, jusqu’au cœur, ne s’est-il jamais arrêté, goûtant le regret d’être ici, l’amertume de n’aimer plus…

Une fois encore, je traverse la rue qui, de chez Mme von Stein, menait chez lui. Une fois encore, me voici près de sa porte. Au fond du rez-de-chaussée, une faible lumière brille. La demeure était aussi sans doute, close et sombre, au soir de cette journée où il s’endormit pour toujours. Des gens étaient venus de la Cour, de la ville, le saluer une dernière fois, porter des fleurs, regarder. Et ceux qui prennent mesure pour le cercueil aussi. Puis tous retirés, la nuit dispensait son calme. Et peut être dans cette chambre basse où tremble la petite lumière, quelques-uns veillaient, parlant de lui, rappelant des souvenirs très anciens, se racontant une fois de plus les dernières minutes, tandis que pour une nuit encore il reposait là-haut, débarrassé enfin, librement étendu dans ce repos où on ne sait plus rien, ni qu’on fut un grand homme, ni qu’on oublia l’amour : rien !…