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un voyage

Mais que tout est laid, dans l’illustre maison ! Les mauvais moulages de statues antiques, dont certains sont badigeonnés et vernis pour imiter le bronze ; les piteux paysages ; une affligeante copie d’après Titien, d’ennuyeuses céramiques. Et puis les portraits, tant de portraits misérables !

La plupart de ces peintres sans talent qui ont exercé sur lui leur courage malheureux, se sont fait un devoir de donner à Gœthe un absurde air de génie. L’  « Homme » que Napoléon apercevait, ces barbouilleurs ne l’ont pas deviné, mais seulement le grand homme, bien averti qu’il est un grand homme, et occupé de cela exclusivement, toute la journée. — Haïssables portraits !

Déçue, ahurie, je me sens l’attitude empêtrée des paysans qu’on mène au Louvre et qui ne savent où, ni comment regarder, et même doutent si regarder est bien la chose à faire. Qu’est devenue l’émotion confuse et puissante qui me comblait tout à l’heure devant la maison fermée ? Je songe à partir ; mais je reste. J’attends… Et peu à peu les froides chambres se réveillent et parlent.

Gœthe aimait trop l’Apollon du Belvédère, ses curiosités sont laides, il n’avait pas un goût bien sûr. C’est que l’instinct de grande poésie, et la faculté de choisir sans faute les plus belles parmi les formes, les plus harmonieuses parmi les couleurs, habitent rarement ensemble le même esprit. On se rappelle les meubles d’une atrocité singulière, combinés par Victor Hugo. Les grands poètes n’ont ordinairement pas de goût. Les objets ne leur appa-