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« Si donc vous voulez savourer à grands traits la rêveuse solitude des plages (c’est la solitude qui est rêveuse), ou capturer par centaines les frétillantes truites du lointain lac Gravel, il faut avoir bon œil, bras nerveux, jambe souple, posséder les roses illusions de la jeunesse, l’âge des longs espoirs où tout chante en dedans de nous. » — Ainsi, pour savourer la rêveuse solitude des plages, il faut avoir le bras nerveux, et pour capturer les frétillantes truites d’un lac lointain qui s’appelle Gravel, il faut posséder les roses illusions de la jeunesse et que tout chante en soi. On a un orchestre dans le corps, les truites frétillent, le diable y est. Cela n’empêche pas qu’on prenne les truites par centaines. Ces petites bêtes-là ne sont pas farouches, c’est clair. Mais quand on possède les roses illusions, les truites, qui aiment les couleurs tendres probablement, et qui sont touchées de ce que l’on conserve des illusions à leur endroit, viennent à l’envi se faire capturer, toutes frétillantes, entre nos jambes souples.

« Les étrangers paraissent presque prendre possession de la Malbaie, à l’exclusion des indigènes, tant que dure la belle saison. » — Comment ! des indigènes ! Tout à l’heure, on les appelait romanesques habitants ; vingt lignes plus loin, M. LeMoine dira : « En répétant que les étrangers semblent avoir exclu les aborigènes… » Il faut s’entendre. Les gens de la Malbaie sont-ils indigènes, aborigènes ou romanesques habitants ? Vous allez voir qu’on ne tardera pas à les appeler individus.