Page:Buies - Le chemin de fer du lac Saint-Jean, 1895.djvu/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.

14
Le chemin de fer

facile chaîne des Laurentides, chaîne incapable d’opposer la moindre résistance aux plus discrètes tentatives de pénétration, et dont les brèches et les passes, largement ouvertes, comme des routes ménagées d’avance à la marée toujours montante des migrations futures, s’offrent d’elles-mêmes aux allées et venues d’une circulation illimitée.

Mais les temps n’étaient pas encore arrivés de porter les yeux jusque-là. Dans un pays comme le nôtre, qui était encore alors à l’enfance de toutes choses, les préoccupations d’avenir ne prenaient pas grand’place dans la pensée même des hommes les plus éclairés, et il n’y avait que le besoin immédiat qui pût déterminer un effort sérieux et suivi dans une direction ou dans une autre.


ORIGNAUX, CARIBOUS, CASTORS,


Il était convenu (encore un peu même on était convaincu) que tout le pays s’étendant entre St-Raymond et le bassin du lac Saint-Jean était non seulement inhabité, mais encore inhabitable, réservé uniquement aux chasseurs du fier orignal, quadrupède géant des forêts, qui porte lui-même une forêt sur sa tête, dont l’encolure est celle du lion, la force et la rapidité égales, les jambes comme des flèches rasant le sol et le sabot aussi dur aussi meurtrier qu’un boulet de canon ; aux chasseurs du noble caribou, ce dandy des montagnes, svelte, élégant, gracieux, qui court dans les clairières des bois, le long des