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sa confiance ébranlée par le morne trajet qu’il vient de parcourir.

Toute cette partie du chemin Kenogami est lugubre ; les grands arbres calcinés et restés debout semblent des sentinelles d’un autre monde qui regardent avec une fixité étrange tous les passants nouveaux à l’allure rapide et inquiète. En effet, lorsqu’on traverse de nuit ce désert peuplé de fantômes, aussi morne qu’une lande, on se hâte afin d’échapper à un ennui indéfinissable qui pèse sur l’esprit et qui participe de l’impatience et de l’angoisse. Lorsque c’est de jour, on regarde avec un étonnement mêlé de pitié les huttes grossières qui jalonnent le chemin de distance en distance et qui sont habitées par autant de familles de colons dont toute la subsistance provient d’un petit lopin de terre où pousse le blé, d’un enclos étroit où l’on sème des patates et de deux ou trois plates-bandes où quelques légumes rachitiques essaient de parvenir à maturité.

Çà et là cependant apparaissent sur la route quelques maisons faites de bois équarri et quelques ébauches d’une culture plus étendue et plus sérieuse. La colonisation se propage malgré l’ingratitude du sol, et le nombre des habitations augmente d’année en année. Le chemin y a été ouvert la plupart du temps à travers les roches ou bien sur de longues étendues de sable ; il n’en persiste pas moins à être excellent malgré ces désavantages, et le voyageur ne peut s’empêcher d’en témoigner sa surprise :