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L’OUTAOUAIS SUPÉRIEUR

lointaines, profondes et vagues étendues, toujours ignorées, et qui semblaient attendre le premier regard de l’homme, je m’y plongeais ainsi que dans un rêve, et mon esprit s’emplissait de visions fantastiques, grandioses, et j’oserai dire prophétiques. Oh ! c’est que rien n’est aussi terrifiquement grand que cette large et puissante assise du continent américain, qui forme notre empire à nous, habitants du Dominion. Le monde finit là où s’arrête ce prodigieux et formidable domaine. Nous allons jusqu’aux extrémités de la terre connue ; au delà, le globe, étouffant sous l’étreinte des glaces éternelles, ne donne plus signe de vie que par des convulsions. Il secoue tous les ans l’épaisse muraille qui l’enveloppe, avec des craquements effroyables dont au loin la terre gémit. Les rivages hérissés, formés d’énormes entassements, s’ébranlent, et les banquises qui les encombraient, de la base au faîte, surprises par ce choc, s’entr’ouvrent en découvrant des abîmes, se disloquent avec un bruit qui couvrirait la voix de la foudre, et s’engouffrent de tout leur poids dans le sombre Océan. Des montagnes de vagues, lancées dans les cieux par cette terrible chute, s’entre-choquent en faisant jaillir des milliers d’étincelles qui illuminent l’abîme béant, puis vont s’abattre sur les rochers, sur les falaises et sur les pics qui bordent toute la rive, comme ces énormes ras de marée du Pacifique qu’un tremble-