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VOYAGES.

illusion ; ils y croyaient eux mêmes…… Ah ! malheureux ! le trajet du Grand Pacifique Américain est tout ce qu’il y a de plus monotone, de plus misérable et de plus ingrat. J’ai traversé cinq cents lieues de désert, de plaines sans horizons, d’une étendue muette et inanimée. Ce n’est qu’arrivé sur les hauteurs de la Sierra-Nevada, entre l’Utah et la Californie, que cette grande nature tant promise, tant attendue, s’est révélée enfin. Oui, c’est beau, certes, ce passage à huit mille pieds au-dessus de la mer, sur le bord de précipices effrayants, lorsqu’on est entouré de pics couverts de neiges éternelles et que, sous le regard, s’ouvrent subitement des abîmes qui ont quinze cents pieds de profondeur ; mais je n’aurais pas donné pour tout cela le plus petit côteau de la Malbaie, ce paradis de notre pays, cette oasis oubliée parmi les rudesses grandioses et altières du Canada ; je n’aurais pas donné six lieux des rives du St. Laurent, pour toutes les splendeurs terrifiantes qui se dévoilaient pour la première fois sous mes yeux.

Oh ! quand je me rappelle tout cela !…… Pendant un mois j’ai été comme un captif tenu au silence ; je n’ai pas eu un ami, pas même un compagnon, pas la plus légère sympathie, alors même qu’une sympathie quelconque eût été pour moi un trésor inestimable.

Mais il faut pourtant bien que je commence ce récit. Allons ! passez devant moi, déserts implacables qui, pendant de si longs jours et de si longues nuits surtout, m’avez accablé de votre infini muet ; passez, plaines arides que la pensée elle-même ne parvient pas à peupler et où le regard, fatigué de chercher une vie toujours absente, retombe appesanti sans pouvoir cependant trouver le sommeil ; déroulez-vous de nouveau, horizons sans cesse fuyants ; mes