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CHRONIQUES

meure de s’exécuter par l’entremise de ce personnage rébarbatif qui n’a pas de compatriotes et qui s’appelle huissier, vous arrivaient tombant des nues de surprise, et accablaient l’éditeur de protestations furibondes : « Mais, monsieur, mais monsieur, s’écriaient-ils, nous n’avons reçu votre journal que pour vous encourager, c’est parce que vous êtes un canadien, etc. » Ainsi ces messieurs recevaient un journal deux, trois, quatre années de suite, sans vous payer un sou, rien que pour vous encourager et parce que vous êtes canadien !… Vous leur aviez donné tous les jours, ou trois fois par semaine, le meilleur de vous-même, vous leur aviez envoyé régulièrement par chaque malle des éclats de votre cervelle, vous les aviez formés, nourris intellectuellement, ils vous devaient les quelques idées qu’ils ont, tout cela rien que pour vous encourager !

À force de vouloir encourager les gens, souvent on finit par les ruiner. J’ai vu des journalistes complètement éreintés par l’encouragement, j’ai vu de braves industriels conduits à la banqueroute bride abattue pour avoir voulu se faire encourager quand même en donnant leur marchandise à un fort rabais. Mais je me hâte de faire une réserve. Le public qui patronise les artistes et l’humble espèce des conférenciers, entend l’encouragement d’une façon toute différente ; il paie, lui, et comptant, pour se faire ennuyer pendant vingt-cinq minutes. Mesdames et Messieurs, il vous restera toujours quelque chose pour cette bonne action, quelque chose qui ne fera la fortune de personne, mais dont au moins chacun de vous pourra être certain toujours, c’est de ma reconnaissance.