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le dernier mot.

effacement, et à quoi bon nourrir des projets, des ambitions, des espérances ? Cette protestation éternelle des aspirations de l’humanité contre le néant a quelque chose qui échappe à l’analyse et qui est au dessus de la science. Nous savons que nous ne sommes rien, que notre vie n’est pas même une minute dans la durée, et, cependant, nous aspirons à l’infini. Rien ne prouve davantage la certitude pour l’esprit d’une vie sans limites.



Non, je ne croirai jamais mourir tout entier ; si cela était, je n’aurais plus ni bonheur, ni transports, ni élans, ni dévouement, ni rien de ce qui exalte l’homme dans l’abnégation, dans le témoignage de la conscience et du devoir accompli. Or, si le devoir, la conscience et le sentiment existent, il faut qu’ils servent à quelque chose en dehors de cette vie qui ne leur offre aucune compensation valable. Que me donnent le destin, l’affection ou le respect d’un être périssable, aussi chétif, aussi fragile que moi-même, dont la vie est moindre que celle de la plupart des choses animées ? La considération d’une créature que je sais n’être rien, puisque le néant l’attend, qui n’est qu’une illusion, qui revêt quelques instants une forme afin d’accomplir certains actes qui sont autant de fictions, ne vaut pas beaucoup la peine d’être recherchée ; et, ainsi, toutes nos vertus, dépouillées de ce qui seul fait leur grandeur et leur mérite, ne conservent plus même les mesquins et vulgaires mobiles du respect humain et de l’amour-propre.