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CONFÉRENCES.

core assez pour former des peuples. Ces révolutions, pour la plupart paisibles, n’en sont pas moins profondes, et, pour n’être pas éclatantes, sont peut-être plus décisives. C’est grâce à cette situation unique qui fait du continent américain le rendez-vous et souvent l’asile de tous les peuples, que les questions ne sont plus seulement nationales, mais en quelque sorte humaines, intéressant les états du monde entier.

Dans le vieux monde, les révolutions sociales, je ne dis pas politiques, sont des ères qui marquent pour plusieurs siècles des conditions nouvelles de société ; le développement y est successif, restreint, ou tout au moins graduel ; en Amérique, c’est par immenses enjambées et par soubresauts que les choses marchent. Les événements arrivent presque imprévus ; leur rapidité déroute même les penseurs qui croyaient les voir venir alors qu’ils en sont tout à coup frappés et comme éblouis. Ainsi, qui eût prévu, seulement quelques années d’avance, la soudaineté tragique de la grande guerre américaine qui éclata en 1861 et qui a embrassé le monde dans ses incalculables résultats ? Dix ans à peine plus tard, voilà une nouvelle grande forme de l’avenir qui se dessine, à peine entr’aperçue et déjà dominant l’horizon. Les états de l’ouest au berceau sont devenus un monde géant tout-à-coup, comme ces grands arbres des tropiques qui, en quelques mois, grandissent de trente pieds. L’Ouest s’est non seulement dressé en un jour sur sa couche d’enfant, étendant ses jeunes et vigoureux membres sur la moitié de l’Union américaine, mais le voilà déjà trop à l’étroit dans sa vaste sphère ; ses bras déployés enserrent et absorbent presque les plus vieux états, et lui, à peu près le dernier venu dans la grande république, il en