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VOYAGES

qu’on ne s’expatrie pas, et qu’on ne revient pas surtout, sans avoir puisé dans l’excès même de ses maux un courage qui élève au-dessus de la raillerie et qui en impose aux plus incrédules.

Mais à peine avais-je mis le pied dans les rues de Montréal, à peine la patrie m’était-elle rendue, que la moitié de ce que j’avais souffert était déjà envolée dans l’oubli, et je n’en étais que plus hésitant. Il me semblait que je n’avais pas assez la physionomie de tant de cruelles épreuves, que j’aurais dû avoir une figure émaciée, de grands yeux enfoncés dans leur orbite, toutes les apparences d’une agonie prochaine ; et, au lieu de cela, je revenais avec une contenance, une vigueur et une allure que j’étais loin d’avoir eues en partant ! Cela était pourtant facile à expliquer ; la joie du retour et l’espérance en l’avenir, substituées à la douleur du départ et à un désespoir profond, avaient opéré ce rapide changement. Il est des maladies terribles, dont la violence est extrême, mais dont on guérit en vingt-quatre heures lorsqu’elles n’ont pas amené la mort. L’excès de la fatigue physique est toujours salutaire lorsqu’il s’arrête à la limite où il peut devenir fatal ; il en est ainsi de la douleur, semblable à une fièvre intense qui, lorsqu’elle est vaincue, équivaut à un renouvellement complet du système. Chez les natures élastiques, douées d’une sensibilité et d’une mobilité telles que les impressions de toutes sortes s’y succèdent comme autant de coups de foudre non interrompus, la souffrance et le bonheur ne peuvent jamais être calmes ; les transports de l’un élèvent jusqu’aux nues, les abattements de l’autre précipitent dans des abîmes pleins de ténèbres.