Page:Buffon - Oeuvres completes, 1829, T01.djvu/90

Cette page a été validée par deux contributeurs.
6
DISCOURS ACADÉMIQUES.

méditation, plus il sera facile ensuite de les réaliser par l’expression.

Ce plan n’est pas encore le style, mais il en est la base ; il le soutient, il le dirige, il règle son mouvement et le soumet à des lois : sans cela, le meilleur écrivain s’égare ; sa plume marche sans guide, et jette à l’aventure des traits irréguliers et des figures discordantes. Quelque brillantes que soient les couleurs qu’il emploie, quelques beautés qu’il sème dans les détails, comme l’ensemble choquera, ou ne se fera pas assez sentir, l’ouvrage ne sera point construit ; et, en admirant l’esprit de l’auteur, on pourra soupçonner qu’il manque de génie. C’est par cette raison que ceux qui écrivent comme ils parlent, quoiqu’ils parlent très bien, écrivent mal ; que ceux qui s’abandonnent au premier feu de leur imagination prennent un ton qu’ils ne peuvent soutenir ; que ceux qui craignent de perdre des pensées isolées, fugitives, et qui écrivent en différents temps des morceaux détachés, ne les réunissent jamais sans transitions forcées ; qu’en un mot il y a tant d’ouvrages faits de pièces de rapport, et si peu qui soient fondus d’un seul jet.

Cependant tout sujet est un ; et, quelque vaste qu’il soit, il peut être renfermé dans un seul discours. Les interruptions, les repos, les sections, ne devroient être d’usage que quand on traite des sujets différents, où lorsqu’ayant à parler de choses grandes, épineuses, et disparates, la marche du génie se trouve interrompue par la multiplicité des obstacles, et contrainte par la nécessité des circonstances[1] : autrement le grand nombre de divisions, loin de rendre un ouvrage plus

  1. Dans ce que j’ai dit ici, j’avois en vue le livre de l’Esprit des