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LIX
PAR VICQ D’AZYR.

Parmi tant d’idées exactes et de vues neuves, comment ne reconnoîtroit-on pas une raison forte que l’imagination n’abandonne jamais, et qui, soit qu’elle s’occupe à discuter, à diviser ou à conclure, mêlant des images aux abstractions et des emblèmes aux vérités, ne laisse rien sans liaisons, sans couleur ou sans vie, peint ce que les autres ont décrit, substitue des tableaux ornés à des détails arides, des théories brillantes à de vaines suppositions, crée une science nouvelle, et force tous les esprits à méditer sur les objets de son étude, et à partager ses travaux et ses plaisirs.

Dans le nombre des critiques qui s’élevèrent contre la première partie de l’Histoire naturelle de M. de Buffon, M. l’abbé de Condillac, le plus redoutable de ses adversaires, fixa tous les regards. Son esprit jouissoit de toute sa force dans la dispute. Celui de M. de Buffon, au contraire, y étoit en quelque sorte étranger. Veut-on les bien connoître ? Que l’on jette les yeux sur ce qu’ils ont dit des sensations. Ici les deux philosophes partent du même point ; c’est un homme que chacun d’eux veut animer. L’un, toujours méthodique, commence par ne donner à sa statue qu’un seul sens à la fois. Toujours abondant, l’autre ne refuse à la sienne aucun des dons qu’elle auroit pu tenir de la nature. C’est l’odorat, le plus obtus de tous les organes, que le premier met d’abord en usage. Déjà le second a ouvert les yeux de sa statue à la lumière, et ce qu’il y a de plus brillant a frappé ses regards. M. l’abbé de Condillac fait une analyse complète des impressions qu’il communique. M. de Buffon, au contraire, a disparu ; ce n’est plus lui, c’est l’homme qu’il a créé, qui voit, qui entend, et qui