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foncée ; ils ne se divisent pas en feuillets aussi minces que l’ardoise, et néanmoins ils contiennent souvent une plus grande quantité de mica, mais l’argile qui en fait le fond est vraisemblablement composée de molécules grossières, et qui, quoiqu’en partie desséchées, conservent encore leur qualité spongieuse et peuvent s’imbiber d’eau, ou bien leur mica plus aigre et moins atténué n’a pas acquis en s’adoucissant cette tendance à la conformation talqueuse ou feuilletée qu’il paraît communiquer aux ardoises : aussi lorsqu’on réduit le schiste en lames minces, il se détériore à l’air et ne peut servir aux mêmes usages que l’ardoise, mais on peut l’employer en masses épaisses pour bâtir.

J’ai dit que les collines calcaires avaient l’argile pour base, et j’ai entendu non seulement les glaises ou argiles molles communes, mais aussi les schistes ou argiles desséchées ; la plupart des montagnes calcaires sont posées sur l’argile ou sur le schiste[1]. « Les montagnes, dit M. Ferber, de la Styrie inférieure, de toute la Carniole, et jusqu’à Vienne en Autriche, sont formées de couches horizontales plus ou moins épaisses (de pierre calcaire), entassées les unes sur les autres, et ont pour base un véritable schiste argileux, c’est-à-dire une ardoise bleue ou noire, ou bien un schiste de corne mélangé de quartz et de mica, pénétré d’une petite partie d’argile. J’ai eu, dit-il, presque à chaque pas l’occasion de me convaincre que ce schiste s’étend sans interruption sous ces montagnes calcaires ; quelquefois même on le voit à découvert s’élever au-dessus du rez de terre, mais lorsqu’il s’est montré pendant un certain temps, il s’enfouit de nouveau sous la pierre calcaire[2]. »

L’argile, ou sous sa propre forme, ou sous celle d’ardoise et de schiste, compose donc la première terre, et forme les premières couches qui aient été transportées et déposées par les eaux ; et ce fait s’unit à tous les autres pour prouver que les matières vitrescibles sont les substances premières et primitives, puisque l’argile formée de leurs débris est la première terre qui ait couvert la surface du globe. Nous avons vu de plus que c’est dans cette terre que se trouvent généralement les coquilles d’espèces anciennes, comme c’est aussi sur les ardoises qu’on voit les empreintes des poissons inconnus qui ont appartenu au premier Océan. Ajoutons à ces grands faits une observation non moins importante, et qui rappelle à la fois et l’époque de la formation des couches d’argile et les grands mouvements qui bouleversaient encore alors la première nature : c’est qu’un grand nombre de ces lits de schistes et d’ardoises ne paraissent s’être inclinés que par violence, ayant été déposés sur les voûtes des grandes cavernes avant que leur affaissement ne fît pencher les masses dont elles étaient surmontées, tandis que les couches calcaires, déposées plus tard sur la terre affermie, offrent rarement de l’inclinaison dans leurs bancs, qui sont assez généralement horizontaux, ou beaucoup moins inclinés que ne le sont communément les lits des schistes et des ardoises.


  1. « J’ai reconnu… qu’il y a toujours du schiste sous les terrains calcaires des montagnes du Padouan, du Vicentin et du Véronais, qui font partie de la chaîne qui sépare l’Allemagne de l’Italie, ainsi que dans les montagnes de l’Autriche, de la Styrie et de la Carniole. M. Arduini m’a assuré qu’il en est de même dans une partie des Apennins, et c’est aussi la remarque de M. Targioni Tozzetti dans ses Voyages en Toscane, et de M. le professeur Baldasari, in actis Academiæ Sienensis… Il n’y a pas jusqu’au marbre salin de Carrara et de Seravezza qui n’ait du schiste pour base… Qu’il vous suffise quant à présent (il parle à M. le chevalier de Born) de savoir que le schiste s’étend sous les montagnes calcaires du Vicentin et du Véronais, et que, malgré le silence des plus grands écrivains, il y eut autrefois, dans beaucoup de parties de ces montagnes, des éruptions de volcans, qui vraisemblablement avaient leur foyer au-dessous de la pierre calcaire, dans le schiste et même plus bas. » Lettres sur la minéralogie, par M. Ferber, p. 30 et suiv.
  2. Lettres sur la minéralogie, etc., p. 4.