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DES SCHISTES ET DE L’ARDOISE

L’argile diffère des schistes et de l’ardoise en ce que ses molécules sont spongieuses et molles, au lieu que les molécules de l’ardoise ou du schiste ont perdu cette mollesse et cette texture spongieuse qui fait que l’argile peut s’imbiber d’eau : le dessèchement seul de l’argile peut produire cet effet, surtout si elle a été exposée à une longue et forte chaleur, puisque nous avons vu ci devant qu’en réduisant cette argile cuite en poudre, on ne peut plus en faire une pâte ductile ; mais il me paraît aussi que deux mélanges ont pu contribuer à diminuer cette mollesse naturelle de l’argile et à la convertir en schiste et en ardoise. Le premier de ces mélanges est celui du mica, le second celui du bitume ; car toutes les ardoises et les schistes sont plus ou moins parsemés ou pétris de mica, et contiennent aussi une certaine quantité de bitume plus grande dans les ardoises, moindre dans la plupart des schistes, et rendue sensible dans tous deux par la combustion.

Ce mélange de mica et cette teinture de bitume nous montrent la production des schistes et des ardoises comme une formation secondaire dans les argiles, et même en fixent l’époque par deux circonstances remarquables : la première est celle du mica disséminé, qui prouve que dès lors les eaux avaient enlevé des particules de la surface des roches vitreuses primitives et surtout des granits dont elles transportaient les débris ; car dans les argiles pures il ne se trouve pas de mica, ou du moins il y a changé de nature par le travail intime de l’eau sur les poudres vitrescibles dont a résulté la terre argileuse. La seconde circonstance est celle du bitume dont les ardoises se trouvent plus ou moins imprégnées ; ce qui, joint aux empreintes d’animaux et de végétaux sur ces matières, prouve démonstrativement que leur formation est postérieure à l’établissement de la nature vivante dont elles contiennent des débris.

La position des grandes couches des schistes et des lits feuilletés des ardoises mérite encore une attention particulière : les lits de l’ardoise n’ont pas régulièrement une position horizontale ; ils sont souvent fort inclinés comme ceux des charbons de terre[1], analogie que l’on doit réunir à celle de la présence du bitume dans les ardoises. Leurs feuillets se délitent suivant le plan de cette inclinaison, ce qui prouve que les lits ont été déposés suivant la pente du terrain, et que les feuillets se sont formés par le dessèchement et la retraite de la matière, suivant les lignes plus ou moins approchantes de la perpendiculaire.

Les couches des schistes, infiniment plus considérables et plus communes que les lits d’ardoise[2], sont généralement adossées aux flancs des montagnes primitives, et descendent avec elles pour s’enfouir dans les vallons, et souvent reparaître au delà en se relevant sur la montagne opposée[3].

  1. Dans les ardoisières d’Angers, les lits sont presque perpendiculaires ; ils sont aussi fort inclinés à Mézières près de Charleville, à Lavagna dans l’État de Gênes ; cependant en Bretagne, les ardoises sont par lits horizontaux comme les couches de l’argile.
  2. On n’a que deux ou trois bonnes carrières d’ardoise en France ; on n’en connaît qu’une ou deux en Angleterre, et une seule en Italie, à Lavagna, dans les États de Gênes : cette ardoise quoique noire est très bonne ; toutes les maisons de Gênes en sont couvertes, et l’on en revêt l’intérieur des citernes, dans lesquelles on conserve l’huile d’olive à Lucques et ailleurs : l’huile s’y conserve mieux que dans les citernes de plomb ou enduites de plâtre.
  3. Le pays schisteux (de la partie des Cévennes voisines de la montagne de l’Espéron) commence, à partir du village de Beaulieu, par le chemin qui conduit au Vigan ; et lorsqu’on est arrivé au ruisseau de Gazel, on trouve des talcs ; quand on est au cap de Morèse