Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 3.pdf/67

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

surtout dans les fentes perpendiculaires où les eaux extérieures peuvent pénétrer par infiltration, et aussi dans les endroits où la masse des rochers est humectée par les vapeurs qui s’élèvent des eaux souterraines[1] : toute humidité s’oppose à la dureté, et la preuve en est que toute masse pierreuse acquiert de la dureté en se séchant à l’air. Cette différence est plus sensible dans les marbres et autres pierres calcaires que dans les matières vitreuses ; néanmoins elle se reconnaît dans les granits, et plus particulièrement encore dans le grès, qui est toujours humide dans sa carrière et qui prend plus de dureté après s’être séché à l’air pendant quelques années.

Lorsque les exhalaisons métalliques sont abondantes et en même temps mêlées d’acides et d’autres éléments corrosifs, elles détériorent avec le temps la substance des granits, et même elles altèrent celle du quartz : on le voit dans les parois de toutes les fentes perpendiculaires où se trouvent les filons des mines métalliques ; le quartz paraît décomposé et le granit adjacent est friable.

Mais cette décomposition d’une petite portion de granit dans l’intérieur de la terre n’est rien en comparaison de la destruction immense et des débris que dut produire l’action des eaux, lorsqu’elles vinrent battre pour la première fois les pics des montagnes primitives, plus élancés alors qu’ils ne le sont aujourd’hui ; leurs flancs nus, exposés aux coups d’un océan terrible, durent s’ébranler, se fendre, se rompre en mille endroits et de mille manières : de là ces blocs énormes qu’on en voit détachés et tombés à leurs pieds ; et ces autres blocs qui, comme suspendus et menaçant les vallées, ne semblent plus tenir à leurs sommets que pour attester les efforts qui se firent pour les en arracher[2] ; mais tandis que la force des vagues renversait les masses qui offraient le plus de prise ou le moins de résistance, l’eau, par une action plus tranquille et tout aussi puissante, attaquait généralement et altérait partout les surfaces des matières primitives, et, transportant la poudre de leurs détriments, en composait de nouvelles substances, telles que les argiles et les grès ; mais il dut y avoir aussi dans les amas de ces débris de gros sables qui n’étaient pas réduits en poudre ; et les granits étant les plus composés, et par conséquent les plus destructibles des substances primitives, ils fournirent ces gros sables en plus grande quantité ; et l’on conçoit qu’eu égard à leur pesanteur, ces sables ne purent être transportés par les eaux à de très grandes distances du lieu de leur origine : ils se déposèrent en grande quantité aux environs de leurs masses primitives, ils s’y accumulèrent en couches graniteuses, et ces grains, agglutinés de nouveau par l’intermède de l’eau, ont formé les granits secondaires, bien différents, comme l’on voit, quant à leur origine, des

  1. « Si ces eaux sont chaudes, la décomposition des parties de la roche en est plus intime et plus profonde : les fentes des rochers de granit, d’où coulent les eaux chaudes de Plombières, se montrent revêtues et remplies d’une argile très blanche, qui, en la pétrissant, se trouve encore mêlée de grains de quartz, et qui n’est en effet que la substance du quartz même dissoute et fondue par l’eau. La douceur au toucher de cette espèce d’argile, et sa facilité à se délayer dans l’eau qu’elle rend détersive, lui ont fait donner dans le pays le nom impropre de savon ou de terre savonneuse ; elle se fond à un feu très modéré en donnant un beau verre laiteux, et c’est un véritable pétunt-zé, propre à entrer dans la plus belle porcelaine. » Morceau extrait de l’Histoire naturelle de Lorraine, manuscrite, par M. l’abbé Bexon.
  2. Vous rencontrez (dans une vallée des Pyrénées), des blocs énormes de granit ; ce sont les débris de quelques montagnes formées par le prolongement des masses de granit qu’on trouve vers l’entrée de la vallée de Louron, et qu’un tremblement de terre aura peut-être renversées. Ce bouleversement n’a pu arriver qu’après la formation des bancs calcaires et argileux qui traversent cette vallée, puisque ces bancs sont couverts par les blocs de granit. On voit régner ce désordre dans une grande partie du terrain qui se trouve entre le village de Saint-Paul et celui d’Oo. Essai sur la Minéralogie des monts Pyrénées, p. 205.