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jusqu’ici comme infusibles ne l’étaient que par la faiblesse de nos feux. Mais, en attendant cette démonstration, je crois qu’on peut assurer, sans craindre de se tromper qu’il ne faut qu’un certain degré de feu pour fondre ou brûler, sans aucune exception, toutes les matières terrestres de quelque nature qu’elles puissent être ; la seule différence, c’est que les substances pures et simples sont toujours plus réfractaires au feu que les matières composées, parce que, dans tout mixte, il y a des parties que le feu saisit et dissout plus aisément que les autres, et ces parties une fois dissoutes servent de fondant pour liquéfier les premières.

Nous exclurons donc de l’histoire naturelle des minéraux ce caractère d’infusibilité absolue, d’autant que nous ne pouvons le connaître que d’une manière relative, même équivoque, et jusqu’ici trop incertaine pour qu’on puisse l’admettre, et nous n’emploierons : 1o que celui de la fusibilité relative ; 2o le caractère de la calcination ou non-calcination avant la fusion, caractère beaucoup plus essentiel, et par lequel on doit établir les deux grandes divisions de toutes les matières terrestres, dont les unes ne se convertissent en verre qu’après s’être calcinées, et dont les autres se fondent sans se calciner auparavant ; 3o le caractère de l’effervescence avec les acides, qui accompagne ordinairement celui de la calcination ; et ces deux caractères suffisent pour nous faire distinguer les matières vitreuses des substances calcaires ou gypseuses ; 4o celui d’étinceler ou faire feu contre l’acier trempé, et ce caractère indique plus qu’aucun autre la sécheresse et la dureté des corps ; 5o la cassure vitreuse, spathique, terreuse ou grenue, qui présente à nos yeux la texture intérieure de chaque substance ; 6o enfin les couleurs qui démontrent la présence des parties métalliques dont les différentes matières sont imprégnées. Avec ces six caractères, nous tâcherons de nous passer de la plupart de ceux que les chimistes ont employés ; ils ne serviraient ici qu’à confondre les productions de la nature avec celles d’un art qui quelquefois, au lieu de l’analyser, ne fait que la défigurer ; le feu n’est pas un simple instrument dont l’action soit bornée à diviser ou dissoudre les matières : le feu est lui-même une matière[NdÉ 1] qui s’unit aux autres, et qui en sépare et enlève les parties les moins fixes ; en sorte qu’après le travail de cet élément, les caractères naturels de la plupart des substances sont ou détruits ou changés, et que souvent même l’essence de ces substances en est entièrement altérée.

Le naturaliste, en traitant des minéraux, doit donc se borner aux objets que lui présente la nature, et renvoyer aux artistes tout ce que l’art a produit : par exemple, il décrira les sels qui se trouvent dans le sein de la terre, et ne parlera des sels formés dans nos laboratoires que comme d’objets accessoires et presque étrangers à son sujet ; il traitera de même des terres argileuses, calcaires, gypseuses et végétales, et non des terres qu’on doit regarder comme artificielles, telles que la terre alumineuse, la terre sedlitienne et nombre d’autres qui ne sont que des produits de nos combinaisons ; car, quoique la nature ait pu former en certaines circonstances tout ce que nos arts semblent avoir créé, puisque toutes les substances et même les éléments sont convertibles par ses seules puissances[1], et, que pourvue de tous les principes, elle ait pu faire tous les mélanges, nous devons d’abord nous borner à la saisir par les objets qu’elle nous présente et nous en tenir à les exposer tels qu’ils sont, sans vouloir la surcharger de toutes les petites combinaisons secondaires que l’on doit renvoyer à l’histoire de nos arts.


  1. Voyez le Discours sur les éléments, t. II.
  1. Nous avons déjà fait observer bien des fois que le feu n’est pas « une matière ».