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tenir à mon explication, je pense que, dans des sujets aussi difficiles, on ne doit rien prononcer affirmativement sans exposer toutes les difficultés et les raisons sur lesquelles on pourrait fonder une opinion contraire : ne se pourrait-il pas, dira-t-on, que le quartz, que vous regardez comme le produit immédiat de la vitrification générale, ne fût lui-même, comme toutes les autres substances vitreuses, que le détriment d’une matière primitive que nous ne connaissons pas, faute d’avoir pu pénétrer à d’assez grandes profondeurs dans le sein de la terre pour y trouver la vraie masse qui en remplit l’intérieur ? L’analogie doit faire adopter ce sentiment plutôt que votre opinion ; car les matières qui, comme le verre, ont été fondues par nos feux, peuvent l’être de nouveau, et par le même élément du feu, tandis que celles qui, comme le cristal de roche, l’argile blanche et la craie pure, ne sont formées que par l’intermède de l’eau, résistent comme le quartz à la plus grande violence du feu ; dès lors ne doit-on pas penser que le quartz n’a pas été produit par ce dernier élément, mais formé par l’eau comme l’argile et la craie pures, qui sont également réfractaires à nos feux ? Et si le quartz a en effet été produit primitivement par l’intermède de l’eau, à plus forte raison le jaspe, le porphyre et les granits auront été formés par le même élément.

J’observerai d’abord que, dans cette objection, le raisonnement n’est appuyé que sur la supposition idéale d’une matière inconnue, tondis que je pars au contraire d’un fait certain, en présentant pour matière primitive les deux substances les plus simples qui se soient jusqu’ici rencontrées dans la nature[NdÉ 1] ; et je réponds, en second lieu, que l’idée sur laquelle ce raisonnement est fondé n’est encore qu’une autre supposition démentie par les observations ; car il faudrait alors que les eaux eussent non seulement surmonté les pics des plus hautes montagnes de quartz et de granité, mais encore que l’eau eût formé les masses immenses de ces mêmes montagnes par des dépôts accumulés et superposés jusqu’à leurs sommets ; or, cette double supposition ne peut ni se soutenir, ni même se présenter avec quelque vraisemblance, dès que l’on vient à considérer que la terre n’a pu prendre sa forme renflée sous l’équateur et abaissée sous les pôles que dans son état de liquéfaction par le feu, et que les boursouflures et les grandes éminences du globe ont de même nécessairement été formées par l’action de ce même élément dans le temps de la consolidation. L’eau, en quelque quantité et dans quelque mouvement qu’on la suppose, n’a pu produire ces chaînes de montagnes primitives qui font la charpente de la terre et tiennent à la roche qui en occupe l’intérieur ; loin d’avoir travaillé ces montagnes primitives dans toute l’épaisseur de leur masse, ni par conséquent d’avoir pu changer la nature de cette prétendue matière primitive pour en faire du quartz ou des granits, les eaux n’ont eu aucune part à leur formation, car ces substances ne portent aucune trace de cette origine, et n’offrent pas le plus petit indice du travail ou du dépôt de l’eau ; on ne trouve aucune production marine, ni dans le quartz, ni dans le granit ; et leurs masses, au lieu d’être disposées par couches comme le sont toutes les matières transportées ou déposées par les eaux, sont au contraire comme fondues d’une seule pièce sans lits ni divisions que celles des fentes perpendiculaires qui se sont formées par la retraite de la matière sur elle-même dans le temps de sa consolidation par le refroidissement. Nous sommes donc bien fondés à regarder le quartz et toutes les matières en grandes masses dont il est la base, telles que les jaspes, les porphyres, les granits, comme des produits du feu primitif, puisqu’ils diffèrent en tout des matières travaillées par les eaux.

Le quartz forme la roche du globe ; les appendices de cette roche servent de noyau aux plus hautes éminences de la terre : le jaspe est aussi un produit immédiat du feu primitif, et il est, après le quartz, la matière vitreuse la plus simple ; car il résiste également

  1. Le quartz et les autres « verres primitifs » de Buffon ne sont pas le moins du monde des corps simples.