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Les animaux et les végétaux, se reproduisant également par eux-mêmes, doivent être considérés ici comme des êtres semblables pour le fond et les moyens d’organisation[NdÉ 1] ; les minéraux qui ne peuvent se reproduire par eux-mêmes, et qui néanmoins se produisent toujours sous la même forme[NdÉ 2], en diffèrent par l’origine et par leur structure dans laquelle il n’y a que des traces superficielles d’organisation ; mais, pour bien saisir cette différence originelle, on doit se rappeler[1] que, pour former un moule d’animal ou de végétal capable de se reproduire, il faut que la nature travaille la matière dans les trois dimensions à la fois, et que la chaleur y distribue les molécules organiques dans les mêmes proportions, afin que la nutrition et l’accroissement suivent cette pénétration intime, et qu’enfin la reproduction puisse s’opérer par le superflu de ces molécules organiques, renvoyées de toutes les parties du corps organisé lorsque son accroissement est complet :

  1. Voyez, dans le premier volume de cette histoire naturelle, les articles où il est traité de la nutrition et de la reproduction.

    cube, et les cubes s’accolent toujours les uns aux autres de manière à former des pyramides quadrangulaires, creuses à l’intérieur et à parois formant des gradins, tandis que le sulfate de soude cristallise toujours en prismes allongés, à quatre pans, terminés par des pyramides. Il serait également facile de montrer que le minéral ou, pour parler comme Buffon, le « moule intérieur » de chaque minéral est susceptible de s’accroître par des procédés assez analogues à la nutrition des animaux et des végétaux.

    [Note de Wikisource : La fin du xixe siècle a connu un engouement irraisonné pour les théories expliquant la physiologie par la physique des cristaux, notamment après les expériences de Pasteur sur l’accroissement et la « cicatrisation » des cristaux. En réalité, il n’y a aucun lien entre ces phénomènes et le développement des êtres vivants.]

  1. Cette vue est très exacte. Plus la science a pénétré dans les secrets de l’organisation et des fonctions des animaux et des végétaux et plus elle a mis en évidence cette vérité nettement formulée par Buffon : que les animaux et les végétaux sont « des êtres semblables pour le fond et les moyens d’organisation » ; plus elle a montré combien est illusoire la barrière que les anciens naturalistes avaient tenté d’élever entre les deux groupes d’organismes. (Voyez mon Introduction.)
  2. Buffon rapproche, dans ce passage, la « matière brute » de la matière organisée beaucoup plus qu’il ne le faisait un peu plus haut. Il reconnaît que les minéraux « se produisent toujours sous la même forme » ; un peu plus loin, il dit qu’ils ont des traces superficielles d’organisation. Il ne faut pas oublier, d’ailleurs, en lisant cette page, que Buffon divise les minéraux en deux grandes catégories : l’une, formée par ses deux premières classes, contenant toutes « les matières brutes », c’est-à-dire toutes les substances dans la composition desquelles n’entrent pas du tout de molécules organiques ; l’autre, formée par sa troisième classe, comprenant les substances minérales calcinables, substances dont il attribue la production aux organismes vivants et qu’il considère comme « remplissant l’intervalle entre la matière brute et les substances organisées » et comme représentant une « matière intermédiaire, pour ainsi dire mi-partie de brut et d’organique ». La seule différence réelle qu’il établisse entre ces substances et la matière vivante réside dans la proportion de « molécules organiques » qu’elles contiennent. C’est uniquement parce que les matières minérales de cette catégorie contiennent moins de « molécules organiques » que les corps vivants, qu’elles ne jouissent pas des mêmes propriétés que ces derniers. Si le minéral ne se reproduit pas de lui-même, c’est « parce qu’il n’a point de molécules organiques superflues qui puissent être renvoyées pour la reproduction ». Si le minéral ne s’accroît que par juxtaposition (ce qui, disons-le en passant, n’est pas tout à fait exact), tandis que l’animal et le végétal se nourrissent et s’accroissent par intussusception, c’est parce que, dans les minéraux, le travail d’accroissement n’est accompli que « par un petit nombre de molécules organiques qui, se trouvant surchargées de la matière brute, ne peuvent en arranger que les parties superficielles, sans en pénétrer l’intérieur, pour en disposer le fond, et par conséquent sans pouvoir animer cette masse minérale d’une vie animale ou végétative ».