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troisième à Tanay, en Brie, qui n’est qu’à dix-sept à dix-huit pieds de profondeur, et appuyée de même sur un banc de sable[1]. « L’ocre, dit très bien M. Guettard, est douce au toucher, s’attache à la langue, devient rouge au feu, s’y durcit, y devient un mauvais verre si le feu est violent, donne beaucoup de fer avec le phlogistique, et ne se dissout pas aux acides minéraux, mais à l’eau commune. » Et il ajoute, avec raison, que toutes les terres qui ont ces qualités peuvent être regardées comme de véritables ocres ; mais je ne puis m’empêcher de m’écarter de son sentiment, en ce qu’il pense que les ocres sont des glaises ; car je crois avoir prouvé ci-devant que ce sont des terres ferrugineuses, qui ne proviennent pas des glaises ou argiles, mais de la terre végétale ou limoneuse, laquelle contient beaucoup de fer, tandis que les glaises n’en contiennent que très peu.

On trouve aussi des mines de fer en ocre ou rouille dans le fond des marécages et des autres eaux stagnantes. Le limon des eaux des pluies et des rosées est une sorte de terre végétale qui contient du fer dont les molécules peuvent se rassembler dans cette terre limoneuse au-dessous de l’eau comme au-dessous de la surface de la terre : c’est cette espèce de mine de fer que les minéralogistes ont appelée vena palustris ; elle a les mêmes propriétés et sert au même usage que les autres mines de fer en grains, et son origine primordiale est la même ; ce sont les roseaux, les joncs et les autres végétaux aquatiques, dont les débris, accumulés au fond des marais, y forment les couches de cette terre limoneuse dans laquelle le fer se trouve sous la forme de rouille. Souvent ces mines de marais sont plus épaisses et plus abondantes que les mines terrestres, parce que les couches de terres limoneuses y sont elles-mêmes plus épaisses, par la raison que toutes les plantes qui croissent dans ces eaux y retombent en pourriture, et qu’il ne s’en fait aucune consommation, au lieu que, sur la terre, l’homme et le feu en détruisent plus que la pourriture.

Je ne puis répéter assez que cette couche de terre végétale qui couvre la surface du globe est non seulement le trésor des richesses de la nature vivante, le dépôt des molécules organiques qui servent à l’entretien des animaux et des végétaux, mais encore le magasin universel des éléments qui entrent dans la composition de la plupart des minéraux : on vient de voir que les bitumes, les charbons de terre, les bols, les ocres, les mines de fer en grains et les pyrites en tirent leur première origine, et nous prouverons de même que le diamant et plusieurs autres minéraux régulièrement figurés se forment dans cette même terre, matrice de tous les êtres.

Comme cette dernière assertion pourrait paraître hasardée, je dois rappeler ici ce que j’ai écrit en 1772 sur la nature du diamant, quelques années avant qu’on eût fait les expériences par lesquelles on a démontré que c’était une substance inflammable ; je l’avais présumé par l’analogie de sa puissance de réfraction, qui, comme celle de toutes les huiles et autres substances inflammables, est proportionnellement beaucoup plus grande que leur densité. Cet indice, comme l’on voit, ne m’avait pas trompé, puisque deux ou trois ans après on a vu des diamants s’enflammer et brûler au foyer du miroir ardent. Or, je prétends que le diamant qui prend une figure régulière et se cristallise en octaèdre, est un produit immédiat de la terre végétale ; et voici la raison que je

  1. Cette carrière est ouverte : 1o  dans une terre labourable : cette terre est maigre, blanchâtre et a peu de consistance ; elle peut avoir environ trois pieds d’épaisseur ; 2o  cinq à six pieds d’une terre grise propre à faire de la poterie ; 3o  huit à neuf pieds d’une autre terre (l’auteur n’en dit pas la nature, mais il est à présumer que c’est aussi une espèce de glaise) ; 4o  environ un pouce d’une terre couleur de lie de vin ; 5o  environ un pouce d’une matière pyriteuse qui ressemble à du potin ; 6o  le banc d’ocre, qui a huit ou neuf pouces et quelquefois un pied d’épaisseur ; 7o  un sable verdâtre qu’on ne perce pas. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1762, p. 153 et suiv.