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Je remarquai dans cette terre jaune plusieurs grains de mine de fer ; ils étaient noirs et durs dans le lit inférieur, et n’étaient que bruns et encore friables dans les lits supérieurs de cette même terre. Il est donc évident que les détriments des animaux et des végétaux, qui d’abord se réduisent en terreau, forment avec le temps et le secours de l’air et de l’eau, la terre jaune ou rougeâtre, qui est la vraie terre limoneuse dont il est ici question ; et de même on ne peut douter que le fer contenu dans les végétaux ne se retrouve dans cette terre et ne s’y réunisse en grains, et comme cette terre végétale contient une grande quantité de substance organique, puisqu’elle n’est produite que par la décomposition des êtres organisés, on ne doit pas être étonné qu’elle ait quelques propriétés communes avec les végétaux : comme eux elle contient des parties volatiles et combustibles ; elle brûle en partie ou se consume au feu ; elle y diminue de volume, et y perd considérablement de son poids ; enfin elle se fond et se vitrifie au même degré de feu auquel l’argile ne fait que se durcir[1]. Cette terre limoneuse a encore la propriété de s’imbiber d’eau plus facilement que l’argile, et d’en absorber une plus grande quantité ; et comme elle s’attache fortement à la langue, il paraît que la plupart des bols ne sont que cette même terre aussi pure et aussi atténuée qu’elle peut l’être, car on trouve ces bols en pelotes ou en petits lits dans les fentes et cavités, où l’eau, qui a pénétré la couche de terre limoneuse, s’est en même temps chargée des molécules les plus fines de cette même terre, et les a déposées sous cette forme de bol.

On a vu, à l’article de l’argile, le détail de la fouille que je fis faire, en 1748, pour reconnaître les différentes couches d’un terrain argileux jusqu’à cinquante pieds de profondeur : la première couche de ce terrain était d’une terre limoneuse d’environ trois pieds d’épaisseur. En suivant les travaux de cette fouille et en observant avec soin les différentes matières qui en ont été tirées, j’ai reconnu, à n’en pouvoir douter, que cette terre limoneuse était entraînée par l’infiltration des eaux à de grandes profondeurs dans les joints et les délits des couches inférieures, qui toutes étaient d’argile ; j’en ai suivi la trace jusqu’à trente-deux pieds : la première couche argileuse la plus voisine de la terre limoneuse était mi-partie d’argile et de limon, marbrée des couleurs de l’un et de l’autre, c’est-à-dire de jaune et de gris d’ardoise ; les couches suivantes d’argile étaient moins mélangées, et dans les plus basses, qui étaient aussi les plus compactes et les plus dures, la terre jaune, c’est-à-dire le limon, ne pénétrait que dans les petites fentes perpendiculaires, et quelquefois aussi dans les délits horizontaux des couches de l’argile. Cette terre limoneuse incrustait la superficie des glèbes argileuses ; et lorsqu’elle avait pu s’introduire dans l’intérieur de la couche, il s’y trouvait ordinairement des concrétions pyriteuses, aplaties et de figure orbiculaire, qui se joignaient par une espèce de cordon cylindrique de même substance pyriteuse, et ce cordon pyriteux aboutissait toujours à un joint ou à une fente remplie de terre limoneuse : je fus dès lors persuadé que cette terre contribuait plus que toute autre à la formation des pyrites martiales, lesquelles, par succession de temps,

    més ; ils ont beaucoup diminué de volume, se sont durcis au point de résister au burin, et leur superficie devenue noire, au lieu d’avoir rougi comme l’argile, s’est émaillée, de sorte que cette terre en cet état approchait déjà de la vitrification ; ces mêmes gâteaux, remis une seconde fois au fourneau et au même degré de chaleur, se sont convertis en un véritable verre d’une couleur obscure, tandis qu’une semblable cuisson a seulement changé en bleu foncé la couleur rouge de l’argile, en lui procurant un peu plus de dureté ; et j’ai en effet éprouvé qu’il n’y avait qu’un feu de forge qui pût vitrifier celle-ci. » Note remise par M. Nadault à M. de Buffon, en 1774.

  1. « La terre limoneuse, que l’on nomme communément herbue parce qu’elle gît sous l’herbe ou le gazon, étant appliquée sur le fer que l’on chauffe au degré de feu pour le souder, se gonfle et se réduit en un mâchefer noir vitreux et sonore. » Remarque de M. de Grignon.