Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 3.pdf/176

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par la pierre molasse et même par la marne ; et nous pouvons aisément concevoir dans combien de circonstances ces mélanges de schiste ou d’argile et de substance calcaire, plus ou moins grossiers, ou plus ou moins intimes, ont dû avoir lieu, puisque les eaux n’ont cessé, tant qu’elles ont couvert le globe, comme elles ne cessent encore au fond des mers, de travailler, porter et transporter ces matières, et par conséquent de les mélanger dans tous les lieux où les lits d’argile se sont trouvés voisins des couches calcaires, et où ces dernières n’auraient pas encore recouvert les premières.

Cependant ces éléments ne sont pas les seuls que la nature emploie pour le mélange et l’union de la plupart des mixtes : indépendamment des détriments vitreux et calcaires, elle emploie aussi la terre végétale, qu’on doit distinguer des terres calcaires ou vitreuses, puisqu’elle est produite en grande partie par la décomposition des végétaux et des animaux terrestres, dont les détriments contiennent non seulement les éléments vitreux et calcaires qui forment la base des parties solides de leur corps, mais encore tous les principes actifs des êtres organisés, et surtout une portion de ce feu qui les rendait vivants ou végétants. Ces molécules actives tendent sans cesse à former des combinaisons nouvelles dans la terre végétale ; et nous ferons voir dans la suite que les plus brillantes comme les plus utiles des productions du règne minéral appartiennent à cette terre qu’on n’a pas jusqu’ici considérée d’assez près.




DE LA TERRE VÉGÉTALE

La terre purement brute, la terre élémentaire, n’est que le verre primitif d’abord réduit en poudre et ensuite atténué, ramolli et converti en argile par l’impression des éléments humides ; une autre terre, un peu moins brute, est la matière calcaire produite originairement par les dépouilles des coquillages, et de même réduite en poudre par les frottements et par le mouvement des eaux ; enfin une troisième terre, plus organique que brute, est la terre végétale composée des détriments des végétaux et des animaux terrestres.

Et ces trois terres simples, qui, par la décomposition des matières vitreuses, calcaires et végétales, avaient d’abord pris la forme d’argile, de craie et de limon, se sont ensuite mêlées les unes avec les autres, et ont subi tous les degrés d’atténuation, de figuration et de transformation qui étaient nécessaires pour pouvoir entrer dans la composition des minéraux et dans la structure organique des végétaux et des animaux.

Les chimistes et les minéralogistes ont tous beaucoup parlé des deux premières terres ; ils ont travaillé, décrit, analysé les argiles et les matières calcaires ; ils en ont fait la base de la plupart des corps mixtes ; mais j’avoue que je suis étonné qu’aucun d’eux n’ait traité de la terre végétale ou limoneuse, qui méritait leur attention, du moins autant que les deux autres terres. On a pris le limon pour de l’argile ; cette erreur capitale a donné lieu à de faux jugements, et a produit une infinité de méprises particulières. Je vais donc tâcher de démontrer l’origine et de suivre la formation de la terre limoneuse, comme je l’ai fait pour l’argile : on verra que ces deux terres sont d’une différente nature, qu’elles n’ont même que très peu de qualités communes, et qu’enfin ni l’argile, ni la terre calcaire, ne peuvent influer autant que la terre végétale sur la production de la plupart des minéraux de seconde formation.

Mais avant d’exposer en détail les degrés ou progrès successifs par lesquels les détriments des végétaux et des animaux se convertissent en terre limoneuse, avant de présenter les productions minérales qui en tirent immédiatement leur origine, il ne sera pas inutile de rappeler ici les notions qu’on doit avoir de la terre considérée comme l’un des