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ce fait seul, joint à l’inspection, aurait dû les lui faire placer à la suite des pierres argileuses ou des schistes ; et la nature passe en effet par nuances des schistes simples ou purement argileux à ces schistes composés, dont ceux qui sont le moins mélangés de parties calcaires n’offrent pas la figuration spathique, et ne peuvent, de l’aveu des minéralogistes, se distinguer qu’à peine du schiste pur.

Quoique le trapp et les autres pierres de corne ou schistes spathiques, qui ne contiennent qu’une petite quantité de matière calcaire, ne fassent aussi que peu ou point d’effervescence avec les acides, néanmoins en les traitant à chaud avec l’acide nitreux, on en obtient par l’alcali fixe un précipité gélatineux, de même nature que celui que donnent la zéolithe et toutes les autres matières mélangées de parties vitreuses et de parties calcaires.

Ce schiste spathique se trouve en grand volume et en masses très considérables mêlées parmi les schistes simples : M. de Saussure, qui le décrit sous le nom de pierre de corne, l’a rencontré en plusieurs endroits des Alpes. « À demi-lieue de Chamouni, dit ce savant professeur, en suivant la rive droite de l’Arve, la base d’une montagne, de laquelle sortent plusieurs belles sources, est une roche de corne mêlée de mica et de quartz. Ses couches sont à peu près verticales, souvent brisées et diversement dirigées[1]. » Ce mélange de mica, ce voisinage du quartz, cette violente inclinaison des masses me paraissent s’accorder avec ce que je viens de dire sur l’origine et le temps de la formation de cette pierre mélangée : il faut en effet que ce soit dans le temps où les micas étaient flottants et disséminés sur les lieux où se trouvaient les débris plus ou moins atténués des quartz, et dans des positions où les masses primitives, rompues en différents angles, n’offraient comme parois ou comme bases que de fortes inclinaisons et des pentes raides ; ce n’est, dis-je, que dans ces positions que les couches de formation secondaire ont pu prendre les grandes inclinaisons des pentes et des faces contre lesquelles on les voit appliquées. En effet, M. de Saussure nous fournit de ces exemples de roches de corne, adossées à des granits[2] ; mais ne se méprend-il pas lorsqu’il dit que des blocs ou tranches de grande, qui se rencontrent quelquefois enfermés dans ces roches de corne, s’y sont produits ou introduits postérieurement à la formation de ces mêmes roches ? Il me semble que c’est lors de leur formation même que ces fragments de granit primitif y ont été renfermés, soit qu’ils y soient tombés en se détachant des sommets plus élevés[3], soit que la force même des flots les y ait entraînés dans le temps que les eaux charriaient la pâte molle des argiles mélangées des poudres calcaires, dont est formée la substance des schistes spathiques ; car nous sommes bien éloignés de croire que ces tranches ou prétendus filons de granit se soient produits, comme le dit M. de Saussure, par cristallisation et par l’infiltration des eaux ; ce ne serait point alors du véritable grande primitif, mais une concrétion secondaire et formée par l’agglutination des sables graniteux[4]. Ces deux formations doivent être soigneusement distinguées, et l’on ne peut pas, comme le fait ici ce savant auteur, donner la même origine et le même temps de formation aux masses primitives et à leurs productions secondaires ou stalactites : ce serait bouleverser toute la généalogie des substances du règne minéral.

Il y a aussi des schistes spathiques, dans lesquels le quartz et le feldspath se trouvent

  1. Voyage dans les Alpes, t. Ier, p. 433.
  2. Idem, ibidem, t. Ier, p. 531.
  3. L’observation même de M. de Saussure aurait pu le convaincre que la matière de ces tranches de granit a été amenée par le mouvement des eaux, et qu’elle s’est déposée en même temps que la matière de la pierre de corne dans laquelle ce granit est inséré, puisqu’il remarque qu’où elles se présentent, les couches de la roche de corne s’interrompent brusquement, et paraissent s’être inégalement affaissées. Voyage dans les Alpes, p. 533.
  4. M. de Saussure remarque lui-même dans cette pierre de petites fentes rectilignes… qui lui paraissent l’effet d’un commencement de retraite.