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ciné, c’est que toutes deux, exposées à l’air après la calcination, tombent en poussière et perdent la plus utile de leurs propriétés : on ne peut plus les employer dans cet état. La chaux, lorsqu’elle est ainsi décomposée par l’humidité de l’air, ne fait plus d’ébullition dans l’eau, et ne s’y détrempe ou délaie que comme la craie ; elle n’acquiert ensuite aucune consistance par le dessèchement, et ne peut pas même reprendre par une seconde calcination les qualités de la chaux vive ; et de même le plâtre en poudre ne se durcit plus lorsqu’il a été éventé, c’est-à-dire abandonné trop longtemps aux injures de l’air.

La chaux fondue n’acquiert pas à la longue, ni jamais par le simple dessèchement, le même degré de consistance que le plâtre prend en très peu de temps après avoir été, comme la pierre calcaire, calciné par le feu et détrempé dans l’eau : cette différence vient en grande partie de la manière dont on opère sur ces deux matières. Pour fondre la chaux, on la noie d’une grande quantité d’eau qu’elle saisit avidement ; dès lors elle fermente, s’échauffe et bout en exhalant une odeur forte et lixivielle : on détrempe le plâtre calciné avec une bien moindre quantité d’eau ; il s’échauffe aussi, mais beaucoup moins, et il répand une odeur désagréable qui approche de celle du foie de soufre ; il se dégage donc de la pierre à chaux, comme de la pierre à plâtre, beaucoup d’air fixe[NdÉ 1] et quelques substances volatiles, pyriteuses, bitumineuses et salines, qui servent de liens à leurs parties constituantes, puisque étant enlevées par l’action du feu, leur cohérence est en grande partie détruite ; et ne doit-on pas attribuer à ces mêmes substances volatiles, fixées par l’eau, la cause de la consistance que reprennent le plâtre et les mortiers de chaux ? En jetant de l’eau sur la chaux, on fixe les molécules volatiles auxquelles ses parties solides sont unies[NdÉ 2] : tant que dure l’effervescence, ces molécules volatiles font effort pour s’échapper, mais lorsque toute effervescence a cessé et que la chaux est entièrement saturée d’eau, on peut la conserver pendant plusieurs années et même pendant des siècles sans qu’elle se dénature, sans même qu’elle subisse aucune altération sensible. Or, c’est dans cet état que l’on emploie le plus communément la chaux pour en faire du mortier : elle est donc imbibée d’une si grande quantité d’eau, qu’elle ne peut acquérir de la consistance qu’en perdant une partie de cette eau par la sécheresse des sables avec lesquels on la mêle ; il faut même un très long temps pour que ce mortier se sèche et se durcisse en perdant, par une lente évaporation, toute son eau superflue ; mais comme il ne faut au contraire qu’une petite quantité d’eau pour détremper le plâtre, et que, s’il en était noyé comme la pierre à chaux, il ne se sécherait ni ne durcirait pas plus tôt que le mortier, on saisit pour l’employer le moment où l’effervescence est encore sensible, et quoique cette effervescence soit bien plus faible que celle de la chaux bouillante, cependant elle n’est pas sans chaleur, et même cette chaleur dure pendant une heure ou deux ; c’est alors que le plâtre exhale la plus grande partie de son odeur. Pris dans cet état et disposé par la main de l’ouvrier, le plâtre commence par se renfler, parce que ses parties spongieuses continuent de se gonfler de l’eau dans laquelle il a été détrempé ; mais, peu de temps après, il se durcit par un dessèchement entier. Ainsi l’effet de sa prompte cohésion dépend beaucoup de l’état où il se trouve au moment qu’on l’emploie : la preuve en est que le mortier fait avec de la chaux vive se sèche et se durcit presque aussi promptement que le plâtre gâché, parce que la chaux est prise alors dans le même état d’effervescence que le plâtre ; cependant ce n’est qu’avec beaucoup de temps que ces mortiers faits avec la chaux, soit vive, soit éteinte, prennent leur entière solidité, au lieu que le plâtre prend toute la

  1. Ou acide carbonique [Note de Wikisource : en termes actuels, dioxyde de carbone].
  2. Quand on jette de l’eau dans la chaux vive, c’est-à-dire sur le carbonate de chaux qui a été déshydraté et transformé en oxyde de chaux par la calcination, on la transforme de nouveau en carbonate de chaux, et l’on peut, en effet, la garder indéfiniment dans cet état qui est semblable à celui dans lequel elle se trouvait avant la calcination.