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En général, tout ce que nous avons dit des pierres calcaires anciennes et modernes doit s’appliquer aux marbres ; la nature a employé les mêmes moyens pour les former : elle a d’abord accumulé et superposé les débris des madrépores et des coquilles, elle en a brisé, réduit en poudre la plus grande quantité, elle a déposé le tout par lits horizontaux, et ces matières, réunies par leur force d’affinité, ont pris un premier degré de consistance, qui s’est bientôt augmenté dans les lits inférieurs par l’infiltration du suc pétrifiant qui n’a cessé de découler des lits supérieurs ; les pierres les plus dures et les marbres se sont, par cette cause, trouvés au-dessous des autres bancs de pierre ; plus il y a eu d’épaisseur de pierre au-dessus de ce banc inférieur, plus la matière en est devenue dense ; et lorsque le suc pétrifiant, qui en a rempli les pores, s’est trouvé fortement imprégné des couleurs du fer ou d’autres minéraux, il a donné les mêmes couleurs à la masse entière de ce dernier banc ; on peut aisément reconnaître et bien voir ces couleurs dans la carrière même ou sur des blocs bruts ; en les mouillant avec de l’eau, elle fait sortir ces couleurs et leur donne pour le moment autant de lustre que le poli le plus achevé.

Il n’y a que peu de marbres, du moins en grand volume, qui soient d’une seule couleur. Les plus beaux marbres blancs ou noirs sont les seuls que l’on puisse citer, et encore sont-ils souvent tachés de gris et de brun ; tous les autres sont de plusieurs couleurs, et l’on peut même dire que toutes les couleurs se trouvent dans les marbres, car on en connaît des rouges et rougeâtres ; des orangés, des jaunes et jaunâtres ; des verts et verdâtres ; des bleuâtres plus ou moins foncés et des violets ; ces deux dernières couleurs sont les plus rares, mais cependant elles se voient dans la brèche violette et dans le marbre appelé bleu turquin ; et du mélange de ces diverses couleurs, il résulte une infinité de nuances différentes dans les marbres gris, isabelles, blanchâtres, bruns ou noirâtres. Dans le grand nombre d’échantillons qui composent la collection des marbres du Cabinet du Roi, il s’en trouve plusieurs de deux, trois et quatre couleurs, et quelques-uns de cinq et six : ainsi les marbres sont plus variés que les albâtres dans lesquels je n’ai jamais vu du bleu ni du vert.

On peut augmenter par l’art la vivacité et l’intensité des couleurs que les marbres ont reçues de la nature. Il suffit pour cela de les chauffer : le rouge deviendra d’un rouge plus vif ou plus foncé, et le jaune se changera en orangé ou en petit rouge. Il faut un certain degré de feu pour opérer ce changement qui se fait en les polissant à chaud ; et ces nouvelles nuances de couleur, acquises par un moyen si simple, ne laissent pas d’être permanentes, et ne s’altèrent ni ne changent par le refroidissement ni par le temps : elles sont durables parce qu’elles sont profondes, et que la masse entière du marbre prend par cette grande chaleur ce surcroît de couleur qu’elle conserve toujours.

Dans tous les marbres on doit distinguer la partie du fond, qui d’ordinaire est de couleur uniforme, d’avec les autres parties qui sont par taches ou par veines, souvent de couleurs différentes ; les veines traversent le fond et sont rarement coupées par d’autres veines, parce qu’elles sont d’une formation plus nouvelle que le fond, et qu’elles n’ont fait que remplir les fentes occasionnées par le dessèchement de cette matière du fond : il en est de même des taches, mais elles ne sont guère traversées d’autres taches, sinon par quelques filets d’herborisations qui sont d’une formation encore plus récente que celle des veines et des taches ; et l’on doit remarquer que toutes les taches sont irréguliè-

    docteur italien conjecture que la plus grande partie de la pâte blanche qui compose l’albâtre est une espèce de sel fossile qui, venant à être rongé par les injures de l’air ou par l’eau, laisse à découvert les cristallisations en forme d’aiguilles : « Il y a toujours, dit-il, dans les albâtres une grande quantité de sel ; on le voit tout à fait ressemblant à celui de la mer, dans certains morceaux que je garde dans mon cabinet. » Voyez le Journal étranger, mois d’août 1753, p. 104 et suiv.