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de densité à mesure qu’ils en seront pénétrés ; mais les pierres qui se trouvent dans les plaines ou dans les vallées voisines des grandes rivières disposées en lits horizontaux ou inclinés, n’ont été formées que des sédiments de craie ou de poussière de pierre, qui primitivement ont été détachés des rochers, et atténués par le mouvement et l’impression de l’eau ; ce sont les torrents, les ruisseaux et toutes les eaux courantes sur la terre découverte, qui ont amené ces poudres calcaires dans les vallées et les plaines, et qui souvent y ont mêlé des substances de toute nature ; on ne trouve jamais de coquilles marines dans ces pierres, mais souvent des coquilles fluviatiles et terrestres[1] ; on y a même trouvé des morceaux de fer[2] et de bois[3] travaillés de main d’homme ; nous avons vu du charbon de bois dans quelques-unes de ces pierres, ainsi l’on ne peut douter que toutes les carrières en lieu bas ne soient d’une formation moderne, qu’on doit dater depuis que nos continents, déjà découverts, ont été exposés aux dégradations de leurs parties même les plus solides, par la gelée et par les autres injures des éléments humides. Au reste, toutes les pierres de ces basses carrières ne présentent qu’un grain plus ou moins fin et très peu de ces points brillants qui indiquent la présence de la matière spathique : aussi sont-elles ordinairement plus légères et moins dures que la pierre des hautes carrières, dans lesquelles les bancs inférieurs sont de la plus grande densité.

Et cette matière spathique, qui remplit tous les vides et s’étend dans les délits et dans les couches horizontales des bancs de pierre, s’accumule aussi le long de leurs fentes perpendiculaires ; elle commence par en tapisser les parois, et peu à peu elle les recouvre d’une épaisseur considérable de couches additionnelles et successives ; elle y forme des mamelons, des stries, des cannelures creuses et saillantes, qui souvent descendent d’en haut jusqu’au point le plus bas, où elle se réunit en congélations, et finit par remplir quelquefois en entier la fente qui séparait auparavant les deux parties du rocher. Cette matière spathique, qui s’accumule dans les cavités et les fentes des rochers, n’est pas ordinairement du spath pur, mais mélangé de parties pierreuses plus grossières et opaques ; on y reconnaît seulement le spath par les points brillants qui se trouvent en plus ou moins grande quantité dans ces congélations.

Et lorsque ces points brillants se multiplient, lorsqu’ils deviennent plus gros et plus distincts, ils ressemblent par leur forme à des grains de sel marin : aussi les ouvriers donnent aux pierres revêtues de ces cristallisations spathiques le nom impropre de pierres de sel. Ce ne sont pas toujours les pierres les plus dures, ni celles qui sont composées de

  1. La pierre qu’on tire à peu de distance de la Seine, près de l’Hôpital général de Paris, et dont j’ai parlé plus haut, est remplie de petites vis qui sont communes dans les ruisseaux d’eau vive ; cette pierre de la Seine ressemble à peu près aux pierres que l’on tire dans les vallées, entre la Saône et la Vingeanne, auprès du village de Talmay en Bourgogne : je cite ce dernier exemple, parce qu’il démontre évidemment que la matière de ces lits de pierre a été amenée de loin, parce qu’il n’y a aucune montagne calcaire qu’à environ une lieue de distance.
  2. Le sieur Dumortier, maître maçon à Paris, m’a assuré qu’il y a quelques années il avait trouvé dans un bloc de pierre dite de Saint-Leu, laquelle ne se tire qu’à la surface de la terre, c’est-à-dire à quelques pieds de profondeur, un corps cylindrique qui lui paraissait être une pétrification, parce qu’il était incrusté de matières pierreuses ; mais que, l’ayant nettoyé avec soin, il reconnut que c’était vraiment un canon de pistolet, c’est-à-dire du fer.
  3. Dans un bloc de pierre de plusieurs pieds de longueur, sur une épaisseur d’environ un pied ou quinze pouces, tiré des carrières du faubourg Saint-Marceau à Paris, l’ouvrier tailleur de pierre s’aperçut, en la sciant, que sa scie poussait au dehors une matière noire qu’il jugea être des débris de bois pourri ; en effet, la pierre ayant été séparée en deux blocs, il trouva qu’elle renfermait dans son intérieur un morceau de bois de près de deux pouces d’épaisseur, sur six à sept pouces de longueur, lequel était en partie pourri et sans aucun indice de pétrification.