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ont été roulées, tout se réunit pour faire croire que ce sont des blocs en débris de pierres plus ou moins anciennes, lesquels ont été arrondis par le frottement, et ensuite liés ensemble par une terre mêlée d’une assez grande quantité de substance spathique pour se durcir et faire corps avec ces pierres.

    j’ai vu souvent des veines blanches de suc pierreux qui traversent un morceau arrondi d’amenla ; mais ces veines ne s’étendent point au delà dans la terre pétrifiée, qui n’est veinée dans aucun endroit : la veine du caillou n’a point de suite, elle se termine nettement à ses bords ; c’est ce que j’ai remarqué depuis dans un grand nombre de ces espèces de marbres appelés brèches, qui sont dans le cas de nos amenlas.

    » Cette observation prouve non seulement que la pétrification de nos pierres arrondies et de la terre qui les lie n’a pas été faite ni dans un même lieu ni dans un même temps, car autrement la veine blanche traverserait indifféremment tout le bloc, et passerait de la pierre arrondie dans la terre qui est durcie autour ; mais elle indique encore que les pierres d’amenla, aujourd’hui arrondies, et probablement anguleuses autrefois, sont des morceaux détachés d’une plus grosse masse, parce que dans tous les rochers à chaux traversés par des veines de suc pierreux, ces veines parcourent une assez grande étendue avant de se terminer, et elles ne se terminent communément qu’en s’amortissant en une pointe insensible qui se perd dans le rocher. Les veines ne sont coupées nettement et avec toute leur largeur que dans les morceaux détachés ; c’est ce qu’on voit au moins tous les jours dans nos rochers à chaux et dans tous les marbres veinés : nos amenlas seraient-ils les seuls exceptés de la loi commune ? Les veines, tant celles des morceaux qui sont détachés que celles des morceaux qui sont liés en un bloc, montrent qu’ils ont fait partie d’un autre rocher, et que ces morceaux n’ont point toujours été isolés : ceux qui sont accoutumés à voir les pierres en philosophes, et qui en ont beaucoup manié le marteau à la main, sentiront mieux que les autres la force de cette preuve.

    » 3o  Les coquillages fossiles de cette chaîne sont partout confondus avec la pierre d’amenla jusqu’à la pierre morte qui leur sert de base ; mais ils ne vont point au delà, ce qui est une assez forte présomption pour croire que les coquillages et les amenlas ont été portés ou plutôt roulés d’ailleurs sur ce terrain, et qu’ils y sont pour ainsi dire dépaysés.

    » 4o  Nos amenlas sont arrondis comme des galets de rivières ; ils ne sont que de la grosseur des pierres qu’elles entraînent ; ils sont enfin de grains et de couleurs différentes : peut-on méconnaître à ces caractères un ramassis de pierres qui ont appartenu originairement à différents rochers de montagnes éloignées les unes des autres ? Ces pierres ont été entraînées dans un même endroit, loin de leur première place, comme celles qu’on trouve dans les lits des torrents, des rivières, ou sur le rivage de la mer.

    » Ce que je viens de dire indique déjà que l’état primitif de nos amenlas était d’être anguleux, et que leur forme arrondie est l’effet du frottement qu’ils ont éprouvé en roulant.

    » On peut cependant objecter contre ce fait que je prétends établir que la rondeur de ces pierres peut tenir à d’autres causes ; que les géodes, par exemple, et presque tous les cailloux de pierre à fusil, sont naturellement arrondis, sans qu’on puisse raisonnablement attribuer cette forme à aucun frottement, parce que ces dernières pierres en particulier ont une croûte blanchâtre et opaque, qui semble avoir toujours terminé leur surface, sans avoir souffert aucune altération.

    » Mais je demanderai sur cela, si cette croûte se trouvait enclavée dans quelques-uns de ces cailloux, si elle paraissait visiblement plus usée dans certains côtés plus exposés que dans d’autres qui le sont moins, la preuve ou la présomption du frottement ou du roulement ne serait-elle pas bien forte ? Heureusement nous l’avons tout entière pour nos amenlas, et nous la trouvons d’une manière incontestable dans les coquilles fossiles de cette chaîne, qui ont sans doute éprouvé une agitation commune avec les autres pierres qui la composent.

    » En effet, la plupart des huîtres de cette chaîne se sont arrondies, leurs angles les plus saillants ont été emportés, etc., etc. » Mémoire de M. de Sauvages, dans ceux de l’Académie royale des sciences de Paris, année 1746, p. 723 jusqu’à 728.