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Dans les craies blanches et les marnes les plus pures, on ne laisse pas de trouver des différences assez marquées, surtout pour les sels qu’elles contiennent ; si on fait bouillir quelque temps dans de l’eau distillée une certaine quantité de craie prise au pied d’une colline ou dans le fond d’un vallon, et qu’après avoir filtré la liqueur, on la laisse évaporer jusqu’à siccité, on en retirera du nitre et un mucilage épais d’un rouge brun ; en certains lieux même le nitre est si abondant dans cette sorte de craie ou de marne, qui a ordinairement la forme du tuf, que l’on pourrait en tirer du salpêtre en très grande quantité, et qu’en effet on en lire bien plus abondamment des décombres ou des murs bâtis de ce tuf crétacé que de toute autre matière. Si l’on fait la même épreuve sur la craie pelotonnée qui se trouve dans les fentes des rochers calcaires, et surtout sur ces masses de matière molle et légère de fleur de craie dont nous avons parlé, au lieu de nitre on n’en retirera souvent que du sel marin, sans aucun mélange d’autre sel, et en beaucoup plus grande quantité qu’on ne retire de nitre des tufs et des craies prises dans les vallons et sous la couche de terre végétale ; cette différence assez singulière ne vient que de la différente qualité des eaux ; car, indépendamment des matières terreuses et bitumineuses qui se trouvent dans toutes les eaux, la plupart contiennent des sels en assez grande quantité et de nature différente, selon la différente qualité du terrain où elles ont passé : par exemple, toutes les eaux dont les sources sont dans la couche de terre végétale ou limoneuse contiennent une assez grande quantité de nitre ; il en est de même de l’eau des rivières et de la plupart des fontaines, au lieu que les eaux pluviales les plus pures, et recueillies en plein air avec précaution pour éviter tout mélange, donnent après l’évaporation une poudre terreuse très fine, d’une saveur sensiblement salée et du même goût que le sel marin ; il en est de même de la neige, elle contient aussi du sel marin comme l’eau de pluie, sans mélange d’autres sels, tandis que les eaux qui coulent sur les terres calcaires ou végétales, ne contiennent point de sel marin, mais du nitre. Les couches de marne stratifiées dans les vallons, au pied des montagnes, sous la terre végétale, fournissent du salpêtre, parce que la pierre calcaire et la terre végétale dont elles tirent leur origine en contiennent. Au contraire les pelotes qui se trouvent dans les fentes, ou dans les joints des pierres et entre les lits des bancs calcaires, ne donnent, au lieu de nitre, que du sel marin, parce qu’elles doivent leur formation à l’eau pluviale tombée immédiatement dans ces fentes, et que cette eau ne contient que du sel marin, sans aucun mélange de nitre ; au lieu que les craies, les marnes et les tufs amassés au bas des collines et dans les vallons, étant perpétuellement baignés par des eaux qui lavent à chaque instant la grande quantité de plantes dont la superficie de la terre est couverte, et qui arrivent par conséquent toutes chargées et imprégnées du nitre qu’elles ont dissous à la superficie de la terre, ces couches reçoivent le nitre d’autant plus abondamment que ces mêmes eaux y demeurent sans écoulement et presque stagnantes.




DE LA PIERRE CALCAIRE

La formation des pierres calcaires[NdÉ 1] est l’un des plus grands ouvrages de la nature : quelque brute que nous en paraisse la matière, il est aisé d’y reconnaître une forme d’organisation actuelle et des traces d’une organisation antérieure bien plus complète dans les parties dont cette matière est originairement composée. Ces pierres ont en effet été primitivement formées du détriment des coquilles, des madrépores, des coraux et de toutes les autres substances qui ont servi d’enveloppe ou de domicile à ces animaux infiniment nom-

  1. Carbonate de chaux hydraté.