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la craie pure, mêlée avec ces terres, les rend plus meubles et par conséquent susceptibles d’une culture plus aisée ; elles deviennent aussi plus fécondes par la facilité que l’eau et les jeunes racines des plantes, trouvent à les pénétrer et à vaincre la résistance que leur trop grande compacité opposait à la germination et au développement des graines délicates ; la craie pure et même le sable fin, de quelque nature qu’il soit, peuvent donc être employés avec grand avantage pour marner les terres trop compactes ou trop humides ; mais il faut au contraire de la marne mêlée de beaucoup d’argile, ou mieux encore de terre limoneuse, pour les terres stériles par sécheresse et qui sont elles-mêmes composées de craie, de tuf et de sable ; la marne la plus grasse est la meilleure pour ces terrains maigres, et pourvu qu’il y ait dans la marne qu’on veut employer une assez grande quantité de parties calcaires pour que l’argile y soit divisée, cette marne presque entièrement argileuse, et même la terre limoneuse toute pure, seront les meilleurs engrais qu’on puisse répandre sur les terrains sableux. Entre ces deux extrêmes, il sera aisé de saisir les degrés intermédiaires, et de donner à chaque terrain la quantité et la qualité de la marne qui pourra convenir pour engrais[1]. On doit seulement observer que dans tous les cas il faut mêler la marne avec une certaine quantité de fumier, et cela est d’autant plus nécessaire que le terrain est plus humide et plus froid. Si l’on répand les marnes sans y mêler de fumier, on perdra beaucoup sur le produit de la première et même de la seconde récolte, car le bon effet de l’amendement marneux ne se manifeste pleinement qu’à la troisième ou quatrième année.

Les marnes qui contiennent une grande quantité de craie sont ordinairement blanches ; celles qui sont grises, rougeâtres ou brunes, doivent ces couleurs aux argiles ou à la terre limoneuse dont elles sont mélangées, et ces couleurs plus ou moins foncées sont encore un indice par lequel on peut juger de la qualité de chaque marne en particulier. Lorsqu’elle est tout à fait convenable à la nature du terrain sur lequel on la répand, il est alors bonifié pour nombre d’années[2] et le cultivateur fait un double profit, le premier par l’épargne des fumiers dont il usera beaucoup moins, et le second par le produit de ses récoltes qui sera plus abondant ; si l’on n’a pas à sa portée des marnes de la qualité qu’exigeraient les terrains qu’on veut améliorer, il est presque toujours possible d’y suppléer en répandant de l’argile sur les terres trop légères, et de la chaux sur les terres trop fortes ou trop humides, car la chaux éteinte est absolument de la même nature que la craie[NdÉ 1], puisqu’elles ne sont toutes deux que de la pierre calcaire réduite en poudre : ce qu’on a dit[3] sur les prétendus sels ou qualités particulières de la marne pour la végétation, sur son eau générative, etc., n’est fondé que sur des préjugés. La cause prin-

  1. M. Faujas de Saint-Fond parle de certains cantons du Dauphiné qui sont très fertiles, et dont le sol contient environ un quart de matière calcaire, mêlée naturellement avec un tiers d’argile noire, tenace, mais rendue friable par environ un quart d’un sable sec et grenu ; et, pour le surplus, d’un second sable fin, doux et brillant… Voyez le Mémoire sur la marne, par M. Faujas de Saint-Fond, et les Affiches du Dauphiné, octobre 1780.
  2. Suivant Pline, la fécondité communiquée aux terres par certaines marnes dure cinquante et jusqu’à quatre-vingts années. Voyez son Histoire naturelle, livre xvii, chap. vii et viii. Il dit aussi que c’est aux Gaulois et aux Bretons qu’on doit l’usage de cet engrais pour la fertilisation des terres. Idem, ibidem.M. de Gensane, en parlant des marnes, fait de bonnes observations sur leur emploi, et il cite un exemple qui prouve que cet engrais est non seulement utile pour augmenter la production des grains, mais aussi pour faire croître plus promptement et plus vigoureusement les arbres, et en particulier les mûriers blancs. Histoire naturelle du Languedoc, t. Ier.
  3. Œuvres de Palissy. Paris, 1777, in-4o, p. 142 jusqu’à 184.
  1. La chaux éteinte est, en effet, un carbonate de chaux hydraté ; tandis que la chaux vive, produite par la calcination du carbonate de chaux, est de l’oxyde de calcium anhydre.