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mais aussi les stalactites solides ou en tuyaux, dont sont formés les tufs. Toutes ces concrétions, qui proviennent des détriments de la craie, ne contiennent point de coquilles ; elles sont, comme toutes les autres exsudations ou stillations, composées des particules les plus déliées que l’eau a enlevées et ensuite déposées sous différentes formes dans les fentes ou cavités des rochers, ou dans les lieux plus bas où elles se sont rassemblées.

Ces dépôts secondaires de matières crétacées se font assez promptement pour remplir en quelques années des trous de trois ou quatre pieds de diamètre et d’autant de profondeur ; toutes les personnes qui ont planté des arbres dans les terrains de craie ont pu s’apercevoir d’un fait qui doit servir ici d’exemple : ayant planté un bon nombre d’arbres fruitiers dans un terrain fertile en grains, mais dont le fond est d’une craie blanche et molle, et dont les couches ont une assez grande profondeur, les arbres y poussèrent assez vigoureusement la première et la seconde année ; ensuite ils languirent et périrent. Ce mauvais succès ne rebuta pas le propriétaire du terrain ; on fit des tranchées plus profondes dont on tira toute la craie, et on les remplit ensuite de bonne terre végétale, dans laquelle on planta de nouveaux arbres, mais ils ne réussirent pas mieux, et tous périrent en cinq ou six années. On visita alors avec attention le terrain où ces arbres avaient été plantés, et l’on reconnut avec quelque surprise que la bonne terre qui avait été mise dans les tranchées était si fort mêlée de craie, qu’elle avait presque disparu, et que cette très grande quantité de matière crétacée n’avait été amenée que par la stillation des eaux[1].

Cependant cette même craie, qui paraît si stérile et même si contraire à la végétation, peut l’aider et en augmenter le produit en la répandant sur les terres argileuses trop dures et trop compactes ; c’est ce que l’on appelle marner les terres, et cette espèce de préparation leur donne de la fécondité pour plusieurs années ; mais comme les terres de différentes qualités demandent à être marnées de différentes façons, et que la plupart des marnes dont on se sert diffèrent de la craie, nous croyons devoir en faire un article particulier.




DE LA MARNE

La marne n’est pas une terre simple, mais composée de craie mêlée d’argile[2] ou de limon ; et selon la quantité plus ou moins grande de ces terres argileuses ou limoneuses, la marne est plus ou moins sèche ou plus ou moins grasse : il faut donc, avant de l’employer à l’amendement d’un terrain, reconnaître la quantité de craie contenue dans la marne qu’on y destine, et cela est aisé par l’épreuve des acides, et même en la faisant délayer dans l’eau. Or, toute marne sèche, et qui contiendra beaucoup plus de craie que d’argile ou de limon, conviendra pour marner les terres dures et compactes que l’eau ne pénètre que difficilement, et qui se durcissent et se crevassent par la sécheresse ; et même

  1. Note communiquée par M. Nadault.
  2. En faisant l’analyse de la marne, on trouve que c’est un composé d’argile et de craie : la première dominant quelquefois, et d’autres fois la seconde, ce qui leur fait donner le nom de marne forte et de marne légère, et qui ne signifie autre chose que le plus ou moins d’argile qui se trouve mêlée avec la craie ; et on dit qu’elle est bonne ou mauvaise pour améliorer un champ, selon le besoin qu’il a plus ou moins d’une de ces matières : sa couleur et sa dureté varient ; elle est aisée à connaître, car elle se gerce aisément au soleil, à l’air et à la pluie, qu’elle soit dure ou molle… Celle où il y a beaucoup d’argile ne peut être bonne pour les terres fortes, comme celle de Biscaye et de Guipuzcoa ; et celle où il y a trop de matière calcaire ne vaut rien pour les terres légères. Histoire naturelle d’Espagne, par M. Bowles.