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Mais revenons à cette époque antérieure où les eaux, après être arrivées des régions polaires, ont gagné celles de l’équateur. C’est dans ces terres de la zone torride où se sont faits les plus grands bouleversements : pour en être convaincu, il ne faut que jeter les yeux sur un globe géographique, on reconnaîtra que presque tout l’espace compris entre les cercles de cette zone ne présente que des débris de continents bouleversés et d’une terre ruinée. L’immense quantité d’îles, de détroits, de hauts et de bas-fonds, de bras de mer et de terre entrecoupés, prouve les nombreux affaissements qui se sont faits dans cette vaste partie du monde. Les montagnes y sont plus élevées, les mers plus profondes que dans tout le reste de la terre ; et c’est sans doute lorsque ces grands affaissements se sont faits dans les contrées de l’équateur, que les eaux qui couvraient nos continents se sont abaissées et retirées en coulant à grands flots vers ces terres du midi dont elles ont rempli les profondeurs, en laissant à découvert d’abord les parties les plus élevées des terres et ensuite toute la surface de nos continents.

Qu’on se représente l’immense quantité des matières de toute espèce qui ont alors été transportées par les eaux : combien de sédiments de différente nature n’ont-elles pas déposés les uns sur les autres, et combien par conséquent la première face de la terre n’a-t-elle pas changé par ces révolutions ? D’une part, le flux et le reflux donnait aux eaux un mouvement constant d’orient en occident ; d’autre part, les alluvions venant des pôles croisaient ce mouvement et déterminaient les efforts de la mer autant et peut-être plus vers l’équateur que vers l’occident. Combien d’irruptions particulières se sont faites alors de tous côtés ? À mesure que quelque grand affaissement présentait une nouvelle profondeur, la mer s’abaissait et les eaux couraient pour la remplir ; et quoiqu’il paraisse aujourd’hui que l’équilibre des mers soit à peu près établi, et que toute leur action se réduise à gagner quelque terrain vers l’occident et en laisser à découvert vers l’orient, il est néanmoins très certain qu’en général les mers baissent tous les jours de plus en plus, et qu’elles baisseront encore à mesure qu’il se fera quelque nouvel affaissement, soit par l’effet des volcans et des tremblements de terre, soit par des causes plus constantes et plus simples : car toutes les parties caverneuses de l’intérieur du globe ne sont pas encore affaissées ; les volcans et les secousses des tremblements de terre en sont une preuve démonstrative. Les eaux mineront peu à peu les voûtes et les remparts de ces cavernes souterraines, et lorsqu’il s’en écroulera quelques-unes, la surface de la terre se déprimant dans ces endroits, formera de nouvelles vallées dont la mer viendra s’emparer. Néanmoins comme ces événements, qui dans les commencements devaient être très fréquents, sont actuellement assez rares, on peut croire que la terre est à peu près parvenue à un état assez tranquille pour que ses habitants n’aient plus à redouter les désastreux effets de ces grandes convulsions.