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cette durée de vingt mille ans, me paraît encore trop courte pour la succession des effets que tous ces monuments nous démontrent.

Car il faut se représenter ici la marche de la nature, et même se rappeler l’idée de ses moyens. Les molécules organiques vivantes[NdÉ 1] ont existé dès que les éléments d’une chaleur douce ont pu s’incorporer avec les substances qui composent les corps organisés ; elles ont produit sur les parties élevées du globe une infinité de végétaux, et dans les eaux un nombre immense de coquillages, de crustacés et de poissons, qui se sont bientôt multipliés par la voie de la génération. Cette multiplication des végétaux et des coquillages, quelque rapide qu’on puisse la supposer, n’a pu se faire que dans un grand nombre de siècles, puisqu’elle a produit des volumes aussi prodigieux que le sont ceux de leur détriments : en effet, pour juger de ce qui s’est passé, il faut considérer ce qui se passe. Or, ne faut-il pas bien des années pour que des huîtres qui s’amoncellent dans quelques endroits de la mer s’y multiplient en assez grande quantité pour former une espèce de rocher ? Et combien n’a-t-il pas fallu de siècles pour que toute la matière calcaire de la surface du globe ait été produite ? Et n’est-on pas forcé d’admettre non seulement des siècles, mais des siècles de siècles, pour que ces productions marines aient été non seulement réduites en poudre, mais transportées et déposées par les eaux, de manière à pouvoir former les craies, les marnes, les marbres et les pierres calcaires ? Et combien de siècles encore ne faut-il pas admettre pour que ces mêmes matières calcaires, nouvellement déposées par les eaux, se soient purgées de leur humidité superflue, puis séchées et durcies au point qu’elles le sont aujourd’hui et depuis si longtemps ? Comme le globe terrestre n’est pas une sphère parfaite, qu’il est plus épais sous l’équateur que sous les pôles, et que l’action du soleil est aussi bien plus grande dans les climats méridionaux, il en résulte que les contrées polaires ont été refroidies plus tôt que celles de l’équateur. Ces parties polaires de la terre ont donc reçu les premières les eaux et les matières volatiles qui sont tombées de l’atmosphère ; le reste de ces eaux a dû tomber ensuite sur les climats que nous appelons tempérés, et ceux de l’équateur auront été les derniers abreuvés. Il s’est passé bien des siècles avant que les parties de l’équateur aient été assez attiédies pour admettre les eaux : l’équilibre et même l’occupation des mers a donc été longtemps à se former et à s’établir ; et les premières inondations ont dû venir des deux pôles. Mais nous avons remarqué[1] que tous les continents terrestres

  1. Voyez Hist. nat., t. Ier, Théorie de la terre, art. Géographie.
  1. Buffon développe amplement sa théorie des « molécules organiques vivantes » dans son mémoire sur la génération. Voyez ce mémoire, les notes que j’y ai ajoutées et mon Introduction.